L’étau de Traditionis Custodes se resserre

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L’article 1 du motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021 avait le mérite de la clarté : « Les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II conformément aux décrets du Concile Vatican II sont la seule expression de la lex orandi du Rite romain. »  En d’autres termes : la célébration de la messe romaine traditionnelle a vocation à disparaître, les célébrations existantes pouvant perdurer en dehors des églises paroissiales et l’autorisation de nouvelles créations de lieux de culte traditionnels étant interdite. Cette mesure s’appliquait également à l’administration des sacrements selon le rituel antérieur au Concile Vatican II. Immédiatement une dérogation fut cependant accordée à la Fraternité Saint-Pierre par un décret du pape François en date du 11 février 2022.

 

En fonction des situations locales et des convictions personnelles de chaque évêque diocésain ce motu proprio a été appliqué de manières extrêmement variables en France.

Le cas général semble être celui d’un gel de la situation antérieure particulièrement identifié dans les diocèses de Toulon, Bayonne ou Vannes. On note également l’ouverture d’un nouveau lieu de culte, le 19 mars 2023, desservi par un prêtre diocésain, à Saint-Germain-en-Laye (diocèse de Versailles) après près de 30 mois d’une messe dominicale célébrée, en plein air, devant la chapelle de l’ancien hôpital et une mobilisation de nombreux fidèles.

Dans plusieurs diocèses l’ordinaire du lieu, sans interdire la célébration de la messe traditionnelle dans les lieux déjà utilisés, y empêche cependant l’usage des rituels anciens pour la célébration des sacrements de confirmation, baptême ou mariage. (Rouen, Tours, Avignon, Paris, Pontoise, Chartres). Autre variante : selon une logique s’apparentant à la marginalisation d’une réserve d’Indiens, ne permettre la célébration des baptêmes ou des mariages selon l’usus antiquior que dans les lieux où se célèbre déjà la messe traditionnelle (Rennes, Dax, Limoges). Ce qui a valu les scènes pathétiques de jeunes fiancées demandant à leur évêque que la messe qui a été celle de leur jeunesse ou de leur conversion puisse aussi être celle de leur mariage dans une église de leur choix et pas à l’autre bout du département. Vous avez dit « accueil de l’autre » ?

Solution plus radicale, la suppression de messes comme à Paris ou à Belley-Ars. Ou plus subtil le remplacement de communautés ex-Ecclesia Dei par des prêtres diocésains avec exfiltration du lieu de culte en périphérie des grandes villes (Quimper, Grenoble). Dans ce cas les pédagogies traditionnelles de transmission de la foi sont radicalement remises en cause alors que comme le constate Jean-Marie Guénois, chroniqueur religieux du Figaro, dans son livre Pape François. La Révolution : « Le bilan est objectivement catastrophique : le catéchisme (moderne) conduit les enfants hors de l’Église ».

Tout cela crée un climat général de méfiance, de pressions et de conflits permanents certainement très préjudiciable à la sanctification de tous et au témoignage évangélique. Il convient également de ne pas négliger la pression sur certains évêques de leur presbyterium. Le développement, en particulier en ville, des apostolats traditionnels fait bien des envieux et des jaloux parmi leurs confrères ecclésiastiques plus démunis. Comme l’écrit un observateur averti de la vie de l’Église : « On ne comprend rien au monde ecclésiastique si on passe sous silence les ressentiments inexpiables que l’on y nourrit, pour la plus grande gloire de Dieu, bien entendu. » (C. Barthe in Trouvera-t-il encore la foi sur la terre ?)

 

L’observateur impartial ne peut qu’être frappé par la nature et la violence de l’ensemble de ces mesures restrictives, en cherchant la justification, alors que dans un récent entretien à Famille chrétienne (12/02/2024) le sociologue des religions Guillaume Cuchet observait d’une part à propos de la pastorale moderne : « Passer de 25% de pratiquants au début des années 60 à 1,5% (aujourd’hui) ce n’est pas un succès » ; et d’autre part à propos des traditionalistes : « Il est certain que le catholicisme d’affirmation a le vent en poupe. » Taquin, il aurait pu s’interroger sur la pertinence de la déclaration de Jean-Paul II dans Vicesimus quintus annus (4 décembre 1988) pour le 25e anniversaire de la constitution conciliaire sur la liturgie Sacrosanctum concilium : « Les pasteurs et le peuple chrétien, dans leur immense majorité, ont accueilli la réforme liturgique dans un esprit d’obéissance et même de ferveur joyeuse ». Pieuse reconstitution historique n’ayant qu’un lien ténu avec la réalité, ce dont a témoigné la suite des événements.

 

Au lieu de s’interroger sur les raisons du développement de ces lieux de culte traditionnels, trop d’évêques, dans un stupéfiant déni de réalité, restent arc-boutés sur des principes idéologiques au demeurant parfaitement incohérents. Dans le même article Guillaume Cuchet note : « On a beaucoup parlé d’œcuménisme à la suite du concile Vatican II. Avec les protestants, les orthodoxes… c’est une très bonne chose mais je pense qu’il faut aussi pratiquer cet œcuménisme en interne. » Cela d’autant plus que la dynamique traditionnelle semble irrésistible, ce dont témoigne le succès du pèlerinage de Pentecôte à Chartres ou l’afflux de nouvelles personnes dans les lieux de culte – toutes « familles » traditionalistes confondues – où la beauté de la liturgie, la transcendance, le surnaturel, l’exigence, le silence, l’adoration, etc. sont les maîtres-mots. Sans oublier la part chaque année croissante dans l’ensemble des ordinations en France des séminaristes ordonnés pour la célébration de la messe romaine traditionnelle. À cela s’ajoute la cohérence avec un enseignement catholique authentique dans des établissements scolaires dans lesquels la transmission de la foi n’est pas une option mais au cœur du projet pédagogique. Comme le note Paul Airiau, historien des religions, dans un article paru dans Ouest-France, « premier quotidien francophone au monde » par le tirage, les 27 et 28 janvier à l’occasion d’une enquête en trois volets sur le traditionalisme : « Certes si on compare avec le nombre total de catholiques les traditionalistes restent clairement minoritaires. Mais on ne peut contester une hausse spectaculaire de fidèles ces cinq dernières années. Et cette tendance n’est pas près de s’interrompre. »

Les prêtres et les fidèles attachés à la Tradition de l’Église ne sont ni des chiens, ni des rebelles, ni des mendiants, ni des « demeurés ». Ce sont des baptisés qui ont conscience que le salut, pour eux et pour leurs enfants, n’est pas d’abord un acquis mais un enjeu. Ils ne peuvent que regretter de n’être jamais entendus ni même écoutés, paradoxe à l’heure de la prétendue synodalité. Ainsi une rencontre le 21 février 2023 entre des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle et NNSS Lebrun, archevêque de Rouen, et Jordy, archevêque de Tours, mandatés à cet effet par la CEF, a donné lieu à la remise d’un mémorandum destiné à Mgr de Moulins-Beaufort comportant cinq demandes : la messe et tous les sacrements pour les fidèles qui le demandent, l’autorisation des mariages et des obsèques dans tous les diocèses, la liberté d’enseignement du catéchisme traditionnel, le respect de l’apostolat des prêtres des instituts traditionnels, la reconnaissance des écoles indépendantes fondées par des familles catholiques. Un an plus tard, ce mémorandum n’a toujours pas reçu d’accusé de réception !

Ainsi se fait chaque jour plus judicieuse la réflexion de Dom Gérard Calvet, futur abbé du Barroux, dans une lettre à son frère Hubert le 11 juin 1969 au cœur des débats sur la promulgation du nouvel ordo de la messe : « Le fond du problème c’est qu’on est en Révolution. Et en Révolution on ne fait pas de réforme. On tient les positions. Toute réforme entre dans le processus révolutionnaire. En accueillant la réforme tu fais marcher la Révolution. »

 

Article provenant de Renaissance Catholique

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