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LA TRADITION - Daniel Hamiche


Daniel Hamiche Pour écouter la conférence, cliquez sur le lecteur ci-dessous:



Les quelques réflexions qui suivent ont été faites lors du jubilé de Notre-Dame de Chrétienté à Villepreux le samedi 8 décembre. Elles n’engagent, évidemment, que leur auteur et assurément pas Notre-Dame de Chrétienté. De surcroît, elles n’entendent pas préjuger des explicitations ou décisions que la Sainte Mère Église pourrait être amenée à promulguer en ces matières, et auxquelles l’auteur se soumet filialement par avance.

En matière de tradition, il y a deux péchés irrémissibles.
1. La rupture de tradition qui consiste à récuser le trésor reçu et à refuser de le transmettre : c’est fouler aux pieds le levain ou le jeter à l’égout.
2. Le conservatisme qui consiste à garder pour soi le trésor reçu dans une cassette cadenassée et cachée au plus sombre de la cave : c’est exactement mettre la lumière sous le boisseau.
Dès lors, l’attitude vis-à-vis de la tradition, et très excellemment de la tradition liturgique, ne saurait être ni celle de « rupteurs » ni celle de conservateurs.
Soit, me direz-vous, mais à quoi tout cela nous mène-t-il ? À ceci :
Le levain est destiné à être mélangé à la pâte pour la faire lever (Mt, 13, 33), et la lumière est destinée à être placée sur le lampadaire pour éclairer (Mt 5, 15).
Notre attachement aux « formes liturgiques précédentes » que nous avons défendues « avec un tel amour et une telle affection » depuis si longtemps, ne serait en rien traditionnel, ne s’inscrirait en rien dans la « tradition vivante » de l’Église si, précisément, il ne se constituait pas comme levain et lumière pour l’Église et dans l’Église.
C’est la lecture, en tous cas, que je fais de Summorum Pontificum.
Mais avant de poursuivre, je dois vous interpeller et, en quelque sorte, solliciter de votre part une actuosa participatio, à « participation active » à ce bref exposé.
Me permettez-vous de vous poser trois questions ?
Première question : quels sont ceux d’entre vous qui satisfont à leur obligation dominicale en assistant à une Messe célébrée selon « la forme extraordinaire du rite latin » ? Levez la main !
[Des centaines de bras se lèvent : la quasi totalité des personnes présentes]
Deuxième question pour tous ceux qui ont levé la main : lesquels d’entre vous y assistent dans leur paroisse territoriale ?
[Sept ou huit mains se lèvent]
Troisième question : quels sont ceux qui, assistant à la Messe dominicale célébrée selon « la forme extraordinaire du rite latin » hors de leurs paroisses ont formellement demandé à leurs curés territoriaux de pouvoir en bénéficier dans leurs paroisses territoriales ?
[Une dizaine de personnes lèvent la main]
Le résultat de ce petit sondage est clair :
la plupart de ceux, ici présents, qui assistent à la Messe traditionnelle chaque dimanche ne le font pas dans leurs paroisses et n’en ont pas demandé le bénéfice à leurs curés (qu’ils ne connaissent sans doute même pas !).
Je ne vais pas de nouveau vous refaire mon petit couplet sur le levain et la lumière, mais simplement quelques commentaires sur Summorum Pontificum, des commentaires d’un simple laïc qui a réfléchi sur le « mode d’emploi » du motu proprio.

Premièrement : le niveau du curé

L’article 5 du motu proprio qui est une « loi ecclésiastique » en matière liturgique et au sens du canon 392, s’imposant donc à l’Église de rite latin, débute par ces deux mots :
« In paroeciis », c’est-à-dire « dans les paroisses ». Le pape me semble donc insister pour que la Messe célébrée selon le Missel de 1962 fasse retour « dans les paroisses » dont elle avait été chassée de manière indue puisque le Missel de 1962 ne fut « jamais abrogé ».
C’est donc bien dans le cadre paroissial que doit porter l’effort des laïcs que nous sommes attachés « aux formes liturgiques précédentes », c’est-à-dire à celles promulguées en 1969.
Pourvu, poursuit l’article 5, « qu’existe, de façon stable, un groupe de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure ». Je cite ici l’excellente traduction du R.P. Louis-Marie de Blignières qui corrige d’utile manière la traduction fautive – sans doute due à la Section française de la Secrétairerie d’État, dont ce n’est pas là le premier “faux-pas” en matière de traduction ni le dernier : à preuve la première phrase de la toute dernière encyclique de Benoît XVI, Spe Salvi.
Autrement dit, le « groupe stable » qu’on lit partout et sur lequel tout le monde a glosé n’existe pas dans l’original du texte et donc dans la pensée du pape. Au-delà de la compréhension fine du texte latin, c’est une question de bon sens : comment pourrait-il exister dans les paroisses des « groupes stables » de fidèles « attachés à la tradition liturgique antérieure », puisque ces derniers en ont été chassés activement ou passivement tout au long des quarante années écoulées ?
Ce qui importe donc, dans l’esprit de Benoît XVI c’est que se constituent, hic et nunc, ici et maintenant, de tels groupes. Et encore n’est-il pas nécessaire, car le texte ne le stipule pas, que tous les membres de ces groupes relèvent, territorialement parlant, d’une paroisse particulière.
Quand on lit sous la plume irréfléchie de certains évêques que les fidèles qui demandent à bénéficier de la « forme extraordinaire » dans une paroisse donnée doivent nécessairement être de son ressort, c’est évidemment un abus de droit comme le serait également une pareille exigence pour les fidèles de la « forme ordinaire ».
Ceci étant établi il faut établir de manière “quantitative” ce coetus, ce groupe envisagé. Le motu proprio est muet sur cet aspect. Sans doute le document actuellement en préparation à la Commission Ecclesia Dei nous donnera-t-il bientôt quelques orientations.
Le Seigneur lui-même enseigne : « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 28), un enseignement en quelque sorte corroboré par la loi républicaine puisque celle qui traite du régime des associations dispose que deux ou trois membres suffisent pour donner à une association une existence légale et donc opposable.
Mais je m’empresse de préciser qu’il n’est pas – en tous les cas dans l’immédiat – nécessaire de constituer une association 1901 pour amorcer une démarche en vue de l’obtention de la « forme extraordinaire » dans une paroisse.

Comment donc procéder ?
Le motu proprio est clair : le groupe de fidèles s’adresse au curé de la paroisse qui « accueillera volontiers leurs demandes ».
Accueillir veut dire admettre, recevoir favorablement. Et l’adverbe volontiers qui amplifie le sens du verbe signifie avec plaisir ou du moins sans répugnance. Sachez vous en souvenir dans vos démarches concrètes afin de discerner si l’accueil qui vous est fait est bien conforme aux prescriptions du pape.
Je pense, mais c’est là une opinion personnelle, qu’avant toute démarche formelle sous la forme d’une lettre, une première rencontre est nécessaire avec le curé. Ce n’est que si ce dernier ne peut ou ne veut vous recevoir que la lettre de demande devra lui être adressée.
Il n’est pas nécessaire, à ce stade, que la liste de toutes les personnes constituant le groupe figure sur la lettre au curé. Celui qui mènera la démarche pourra exciper de l’existence du groupe – pourvu, évidemment, qu’il existe vraiment, c’est ce que soustend le motu proprio pour éviter les démarches importunes ou fantaisistes –, et il donnera seul son adresse même, j’y insiste, si son ressort n’est pas de la paroisse territoriale considérée. Si le curé demande la liste des autres membres du groupe on pourra la lui fournir, toutefois sans les adresses. Il s’agit de pourvoir « au bien de ces fidèles », comme le précise le motu proprio, mais non de les “ficher” – laissons cela aux francs-maçons.
Étant peu probable qu’un curé accède immédiatement et dans l’instant à la demande écrite d’un groupe de fidèles, le cas le plus général sera qu’il retarde sa réponse. On pourra, courtoisement, lui accorder trente jours de réflexion et de prière et l’accompagner par les propres prières du groupe de fidèles ou, mieux encore, lui demander de célébrer une ou plusieurs Messes à ces intentions, selon les honoraires particuliers du diocèse. Passé ce délai raisonnable, le groupe de fidèle devra s’adresser directement à l’évêque diocésain. Nous verrons cela dans notre deuxième partie.
Toutefois, il convient de signaler que depuis Vatican II, les curés ne sont plus inamovibles comme ils l’étaient quasiment auparavant. Dépendant entièrement de leurs ordinaires pour les mutations (sanctions ou promotions) survenant tous les six ans, on comprendra que les demandes qu’ils ont reçues ou qu’ils vont recevoir, grâce à vous, remontent sans tarder jusqu’à l’évêque ce que la plupart des évêques a déjà exigé d’eux, exigence qui me semble en contravention avec l’esprit et la lettre du motu proprio.
Avant de passer au chapitre suivant qui va traiter de « l’échelon » épiscopal, je voudrais faire une simple remarque en passant.
Un curé pourrait vous répondre qu’avant de prendre une décision il lui faut consulter le groupe d’animation liturgique de la paroisse. Cette instance, sans pouvoir juridique, n’apparaissant nulle part dans le motu proprio n’a donc aucun titre motif à intervenir sur cette matière grave qui ne relève que du curé, ce qui constitue d’ailleurs un des aspects les plus intéressants et nouveaux de Summorum Pontificum. Remarque en passant…

Deuxièmement : le niveau de l’évêque.

Il est très probable, comme je viens de vous le dire, que la demande d’un groupe soit transmise pour avis à l’évêque par le curé sans que ce dernier n’ose trancher favorablement ou négativement. Ce qui n’est évidemment pas conforme à la lettre et à l’esprit du motu proprio. Toutefois des empêchements dirimants peuvent exister dont il faut tenir compte.
Le curé peut, c’est un cas à peu près général, ignorer l’ars celebrandi selon le Missel de 1962 et, compte tenu de son accablement pastoral – ce qui est le cas notamment en zones rurales – être dans l’impossibilité pratique de l’apprendre. On comprend dès lors qu’il s’adresse à son évêque.
C’est au demeurant à ce dernier de trouver une solution à la requête du curé ou à celle du groupe de fidèles s’il n’a pas reçu une réponse favorable du curé. En effet, l’article 7 du motu proprio indique avec précision : « Si un groupe de fidèles laïcs dont il est question à l’article 5 § 1 n’obtient pas du curé [une réponse positive] aux demandes [qu’il lui a présentées], ils [c’est-à-dire ces fidèles regroupés] il en informera [notez qu’il s’agit là d’une procédure d’information et non d’une demande] l’Évêque diocésain. L’Évêque est instamment prié d’exaucer leur désir ».
La formulation de cette dernière phrase est sans équivoque. Si je vous dis : « Vous êtes instamment priés de ne pas fumer dans cette enceinte », chacun comprendra qu’il s’agit là d’une obligation et non pas d’une faculté.
L’Évêque de bonne foi pourra, on le comprendra se réfugier derrière l’argument, souvent vrai, qu’il ne dispose pas de suffisamment de prêtres pour répondre à toutes les demandes de groupes parfois faibles en nombre, ou que les prêtres dont éventuellement il pourrait disposer ne connaissent pas la « forme extraordinaire ». Ce sont de vrais arguments qui traduisent, hélas !, la piètre situation de l’Église en France. Toutefois, rien ne leur interdit à court terme de faire appel à des prêtres de fraternités sacerdotales « spécialisées » dans la « forme extraordinaire » : il en existe des dizaines en France qui pourraient – avec des aménagements techniques assez simples – apporter leur ministère à des centaines de « groupes de fidèles laïcs » ; à moyen terme, de préparer une relève dans le clergé diocésain en envoyant des prêtres qui y sont disposés à se former pendant deux ou trois mois dans des monastères tout à fait disposer à les recevoir ; à long terme, en prévoyant dans la formation des séminaristes des sessions d’apprentissage de la « forme extraordinaire ».
Ce que je dis pourrait apparaître comme un joli enfilage de truismes, mais j’ai noté dans le discours majoritaire des évêques français des exigences qui me semblent tout à la fois contradictoires entre elles et en contradiction avec des dispositions prises par le Saint- Siège depuis une vingtaine d’années et plus récemment avec Summorum Pontificum :
– les évêques ne veulent pas d’administration apostolique en France pour les « traditionalistes », sur le modèle de l’administration apostolique Saint Jean-Marie Vianney à Campos au Brésil – il est vrai que Summorum Pontificum n’y fait pas allusion ;
– les évêques ne veulent pas davantage de paroisses personnelles – les deux exceptions étant pour l’heure Toulon pour l’abbé Fabrice Loizeau dans le diocèse de Mgr Dominique Rey et Bordeaux pour l’abbé Philippe Laguérie dans l’archidiocèse du cardinal Jean-Pierre Ricard ; j’espère ne rien oublier…
[« Strasbourg », « l’abbé Gouyaud », fusent dans la salle]
– en effet, j’oubliais la paroisse personnelle confiée à l’abbé Christian Gouyaud à Strasbourg… ;
– les évêques ne veulent pas, à quelques rares exceptions près, que des prêtres non diocésains issus de fraternités traditionnelles s’occupent des fidèles attachés à la « forme extraordinaire » dans un cadre paroissial.
On conviendra que le système mis en place est “autobloquant” et que, dans l’immédiat, la réception de Summorum Pontificum est tout sauf « large et généreuse ».
Comment le “dépasser” ?

Troisièmement : la Commission Ecclesia Dei

Ce dépassement se fera par “le haut” selon Summorum Pontificum.
Comment ?
Par un droit de saisine de la Commission Ecclesia Dei par le groupe de fidèles. C’est en tout cas l’interprétation large de l’article 7 du motu proprio qu’on peut faire, sachant qu’en matière de droit de l’Église c’est toujours l’interprétation la plus large qui prévaut sur l’interprétation la plus restrictive. L’article 7 se termine ainsi : « Si [l’évêque] ne peut pas pourvoir à ce genre de célébration, l’affaire sera transmise à la Commission Ecclesia Dei ».
Ici, comme ailleurs du reste, chaque mot compte.
L’évêque ne peut refuser la Messe selon la « forme extraordinaire » sauf à être dans l’incapacité d’y pourvoir par manque de prêtres ou de prêtres sachant la célébrer. Il ne lui est donc pas permis de la refuser pour tout autre motif. Si j’ai bien lu le texte c’est la Commission Ecclesia Dei qui y pourvoira en fournissant « aide et conseil » à l’évêque (article 8).
Envisagée d’un point de vue purement juridique, la chose est “extraordinaire”, si vous voulez bien me passer l’expression…
La fin de l’article est ambiguë : « l’affaire sera transmise ». On comprend dans le contexte qu’il revient à l’évêque de transmettre l’affaire à Rome pour décision, comme on le fait, par exemple, pour les traductions liturgiques qui doivent être agréées par le Saint Siège. Mais rien n’interdit au groupe de fidèles qui aurait essuyé un refus du curé confirmé par l’évêque d’adresser sa demande et son dossier directement à la Commission Ecclesia Dei investie par le pape aux articles 11 et 12 des plus grands pouvoirs, même si certains sont encore potentiels.

Concluons.

Plus qu’aux curés, dont il ne me semble pas qu’il faille trop attendre en cette affaire pour les raisons évoquées plus haut, c’est aux fidèles que Rome ouvre d’extraordinaires perspectives.
À la condition, bien sûr, qu’ils les reconnaissent et agissent en conséquence. Summorum Pontificum constitue pour nous un kairos, c’est-à-dire un moment opportun, attendu depuis quarante ans ! Mais ce kairos contient aussi un certain nombre d’exigences pour nous :
– il suppose une radicale transformation de nos comportements et de nos habitudes en nous invitant à sortir de nos “réserves d’Indiens” où certes, et au milieu de bien des difficultés et frustrations, nous profitons de la « forme extraordinaire » qui nous est chère, mais sans vraie relation organique avec le tissu ecclésial de nos diocèses ;
– il nous demande l’effort d’une vraie vie paroissiale, d’une vie dans et par l’Église ; la vie sacramentelle, évidemment éminente, n’est pas le seul aspect de l’existence d’un chrétien comme de la mission de l’Église ; ne devons-nous pas avec les charismes qui sont les nôtres y participer pleinement et activement ?
– il nous suggère, peut-être aussi, de nous défaire de la posture trop souvent pharisaïque de ceux qui ont la « vraie Messe » et les « vrais sacrements » mais qui les gardent pour eux, comme le levain et la lumière dont je parlais en commençant, pour aller les porter aux autres qui sont nos d’abord nos frères et dont la crise liturgique nous a tragiquement séparé ; et où les porter ailleurs que dans les paroisses ?
Je sais qu’il s’agit là d’une tâche immense et difficile. Je sais qu’une telle perspective bouleverse et va bouleverser beaucoup de nos habitudes. Mais ne croyez-vous pas que Summorum Pontificum en bouleverse d’autres ? Ne voyez-vous pas que ce texte bouleverse bien des “lignes de front” que les uns et les autres pensaient intangibles ? Ce n’est pas parce qu’une tâche est difficile qu’il faut renoncer à l’entreprendre. Les batailles qu’on est assuré de perdre sont celles qu’on se refuse d’engager. C’est à chacun d’entre nous de prendre sa responsabilité.
Avec l’intercession de « Marie, étoile de l’espérance » (Spe Salvi, n. 49), pour l’Église, pour que vive, se développe et s’enrichisse notre tradition liturgique, faisons ce que le pape nous permet et nous commande : demandons partout en France et sans relâche, dans chacune de nos paroisses, la Messe et tous les sacrements.

Et maintenant mes amis : au travail !

Daniel Hamiche



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