2022 

Homélie de Dom Louis-Marie, Père Abbé du Barroux à l’occasion du 40ème anniversaire de Notre-Dame de Chrétienté

Samedi 8 octobre 2022

Paroisse Saint-Roch de Paris

 

Révérends Pères Abbés,

Monsieur l’Aumônier,

Monsieur le Président,

Chers Amis de Notre-Dame de Chrétienté,

 

La Providence a bien voulu qu’un père abbé bénédictin célèbre la sainte messe pour solenniser les quarante ans de l’association Notre-Dame de Chrétienté. Permettez-moi donc de saluer, de loin par la distance mais de très près par le cœur, son Éminence le cardinal Robert Sarah, qui a préféré renoncer à célébrer cette messe pour des raisons diplomatiques.

C’est donc un bénédictin qui est là, à double titre : comme supérieur d’une communauté fondée, il y a un demi-siècle, sur la célébration de la sainte liturgie selon les livres liturgiques anciens, et comme successeur de Dom Gérard qui vous salue du haut du Ciel. Le fondateur de l’abbaye de Sainte-Madeleine a été dès le début un ardent soutien du pèlerinage, encourageant les laïques qui furent à l’origine de cette œuvre audacieuse, et, il faut le dire, en réaction contre l’apostasie généralisée d’une société devenue folle.

Après quarante années de fidélité, de combat, d’épreuves, de déchirures, quarante ans de générosité admirable de la part de tant de catholiques, de tant de laïques et de prêtres, après quarante années de labeur, de croix, mais aussi de joie et d’espérance, quel bilan pouvons-nous faire ?

Permettez-moi, en tant que moine bénédictin, de vous transmettre quelques exhortations de saint Benoît à l’adresse du père abbé.

Pourquoi le père abbé ? Parce que tous, ici, qui avez une certaine responsabilité dans le pèlerinage, vous prenez une part à la grâce du Christ Tête.

Oui, vous, Monsieur le Président, et vous tous, ses collaborateurs, jusqu’aux chefs de chapitres et à tous les “officiers”[1], comme les appelle saint Benoît. Oui, vous tous, chacun à sa place, sans cléricalisme et sans aucun anticléricalisme, vous êtes partie prenante de cette grande œuvre au service de la gloire de Dieu et du salut des âmes.

La première exhortation est de vous souvenir du nom que vous portez.[2]

Pour saint Benoît, c’est très important. Parce que pour cet homme imbibé d’écriture sainte, le nom, c’est une identité claire. Le nom c’est aussi un mission. “Notre-Dame de Chrétienté” : voilà quel est votre nom. Notre-Dame, celle qui fut choisie par Dieu. Un nom, c’est une vocation, un appel, un amour de préférence. Oui ! Soyez assurés que Dieu a pointé son doigt sur vous, et il a dit : « Toi ! Viens et suis-moi sur ce chemin. Viens après moi dans une proximité intérieure faite de grâce, de don du Saint-Esprit et d’habitation intérieure. »

Notre-Dame de Chrétienté : voilà votre mission. Mission qui peut apparaître au-delà de tout espoir humain et qui dans une certaine mesure est vouée à l’échec tant le rapport de force est inégal. Mais que puis-je vous dire ? Sinon que c’est votre nom, c’est votre mission, c’est donc votre raison d’être : travailler à instaurer de lit temporel du fleuve spirituel. N’ayez pas peur et surtout ne vous découragez jamais. Il a fallu six siècles à saint Benoît pour couvrir l’Europe d’un blanc manteau de monastères de moines et de moniales. Ce n’était d’ailleurs pas son projet. Mais, en cherchant réellement Dieu, il a “initié un processus”, comme dit le pape François.

Notre-Dame de Chrétienté, c’est un nom, c’est une mission, c’est un début. Après 40 ans d’existence, votre mission ne fait que commencer.

La deuxième exhortation de saint Benoît à l’abbé que je vous transmets, est d’enseigner ses fils par la saine doctrine et l’exemple[3]. Plus par l’exemple encore que par la doctrine, certes, mais jamais sans elle.

Cette exhortation, vous la recevez avec fierté, parce que depuis 40 ans, quels que soient les présidents, les aumôniers, ce souci doctrinal a toujours été crucial. Avec un souci évident d’adaptation mais sans atténuation ni faiblesse.

Certains ont pu se demander si un pèlerinage est le lieu idéal d’un enseignement. L’abbé Coiffet s’était posé la question et la réponse était tombée naturellement : oui, et surtout à notre époque qui voit une crise majeure de la foi. Et ce qui est en jeu, particulièrement aujourd’hui, ce n’est pas seulement les connaissances. Il est vrai que les chrétiens eux-mêmes sont ignorants des mystères les plus basiques de la foi ; la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, la présence réelle dans l’hostie, la nature sacrificielle de la sainte messe.

Mais le mal n’est-il pas plus profond ? Sainte Bernadette de Lourdes ignorait beaucoup de points de doctrine, mais elle avait la foi, elle avait cette vertu surnaturelle de l’obéissance de l’intelligence à une révélation, à une vérité transcendante, qui vient de Dieu et qui est transmise par Dieu à travers l’Église. Le drame va jusque là car, non seulement les âmes ne savent plus où trouver la lumière, mais elles vont jusqu’à penser qu’il n’y a pas de lumière authentique qui vienne d’en-haut. Le monde moderne n’est pas seulement une apostasie de la vie intérieure, c’est aussi un refus de la transcendance. Les synthèses synodales montrent à quel point même des chrétiens engagés ont perdu, non seulement la foi, mais le sens de la foi.

Alors, oui, il est important et urgent de donner, lors de ces rassemblements de jeunes, le goût de la doctrine, le sens de la foi. Oui, il est de la plus haute importance de leur donner une chance d’élever les yeux vers la vérité et – pardonnez-moi l’expression – de leur fourrer le museau dans le vrai. Compelle intrare, « poussez-les à entrer »[4]. Il suffit parfois d’une expérience, d’un choc ressenti grâce à la splendeur de la vérité pour ouvrir à l’âme un chemin de conversion et d’engagement au service du Seigneur.

Saint Benoît ajoute que le bon exemple est décisif, et je tiens à saluer aujourd’hui tous les laïques qui ont montré une générosité édifiante pour préparer, organiser, accompagner, parfois adapter, le déroulement du pèlerinage. Et je tiens à saluer tous les prêtres qui, courageusement, marchent chaque année au milieu du troupeau pour confesser, enseigner, éclairer, adapter à chaque situation. Mais je tiens surtout à vous encourager, si cela est nécessaire, à soigner la sainte liturgie. Car, quel est le meilleur exemple, le signe le plus parlant de la splendeur de la vérité qu’une sainte liturgie. Si nous aimons la liturgie célébrée selon le missel de saint Pie V, c’est surtout en raison de son sens du sacré et du respect dû à Dieu.

C’est indéniable que de nombreux jeunes ont découvert cet univers qui, pour eux, n’est pas une vieillerie mais une totale nouveauté. La liturgie traditionnelle n’est pas une nostalgie du passé, c’est l’entrée dans un nouveau monde. Mais j’arrête là parce que je sens que je suis en train de prêcher à des convertis.

Il me reste une troisième consigne à vous transmettre de la part de saint Benoît, et que je relis deux fois par an au chapitre du matin avec tremblement.

Saint Benoît exhorte l’abbé à se souvenir souvent qu’il aura des comptes à rendre au Seigneur au jour du jugement, non seulement de ses propres actions, mais aussi de celles de son troupeau.[5]

Oui, le Seigneur nous confie des âmes. Et si chacun a la responsabilité ultime de ses mérites et de ses fautes, nous avons aussi la mission de porter les fardeaux les uns des autres[6]. Nous avons donc une part de responsabilité sur le salut des âmes. C’est d’ailleurs une mission générale que tout chrétien reçoit au baptême : celle de participer, de prendre part à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

Saint Benoît parle très souvent des fins dernières et des comptes que chacun devra rendre au Seigneur de ce qu’il a fait et de ce qu’il n’a pas fait. C’est un appel à la responsabilité et, pour nous, de prendre conscience que ce royaume de Dieu pour lequel nous œuvrons n’est pas de ce monde. Notre-Dame de Chrétienté, si elle a été fondée pour travailler à l’enracinement des vérités chrétiennes dans la société, ne doit jamais oublier l’horizon éternel qui est le sommet de l’histoire.

Saint Benoît précise deux points particuliers sur lesquels le père abbé sera jugé quant à son ministère : la doctrine de ses frères et leur obéissance.[7]

J’ai déjà parlé de la doctrine.

Et c’est avec quelques pincettes que j’aborde celui de l’obéissance.

Pincettes parce que la jeunesse catholique en général est en colère. Certains évêques s’en émeuvent et s’en étonnent. Eh bien, je veux dire à la jeunesse catholique, à cette jeunesse qui reste fidèle à la foi, à la liturgie traditionnelle et à l’Église catholique, que cette colère est compréhensible. Parce que la colère est cette passion que Dieu a créée pour nous aider à affronter le mal. Et Dieu sait combien vous êtes agressés.

Mais accrochez-vous à l’appel du Seigneur : « Mettez-vous en colère mais ne péchez pas. Irascimini et nolite peccare. »[8] Aidons la jeunesse à tenir la ligne de crête. J’ai encore, dans l’oreille et le cœur, le grand cri de l’abbé Alexis Garnier : « double fidélité ». Je le fais mien aujourd’hui. C’est un défi. Mais le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté ne porte-t-il pas le nom de “Pèlerinage de Pentecôte”, et donc du Saint-Esprit, et donc des dons du Saint-Esprit qui nous donnent la force de garder le droit chemin dans des conditions extrêmes ?

Il me faut achever cette homélie et je le ferai en vous glissant à l’oreille un dernier conseil bénédictin. Saint Benoît dit à l’abbé : « Ne t’inquiète pas trop, mon bonhomme, sinon tu n’auras jamais de repos. »[9]

Non, ne t’inquiète pas trop car tu es trop petit pour être responsable de tout. Ne t’inquiète pas trop parce que le Seigneur est plus grand que toi, et qu’il est le vrai Roi des nations, et qu’il sait.

Ne t’inquiète pas trop car Marie est là, elle qui a mis au monde le Sauveur dans une crèche misérable, elle qui a vu le vrai Roi mourir sur une croix, elle qui l’a vu ressuscité, elle qui a vu de pauvres hommes partir prêcher aux nations.

Elle est encore là.

Elle est toujours là.

 

Amen.

[1]    Cf. Règle, ch. 21.

[2]    Cf Règle, ch. 2, 1-2.

[3]    Règle, ch. 2, 11-12.

[4]    Lc 14, 23.

[5]    Règle, ch. 2 et 64.

[6]    Gal 6, 2.

[7]    Règle, ch. 2, 6.

[8]    Eph 4, 26, citant Ps 4, 5.

[9]    Règle, ch. 64, 16.

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