In memoriam Dom Antoine Forgeot

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«Lorsqu’on voyait le Père Abbé célébrer, on était frappé à la fois par sa grande fidélité aux rubriques liturgiques, et aussi par son intériorité, par son effacement pour être le plus transparent possible au mystère. Il était comme une fenêtre ouverte sur Dieu».

Dom Jean Pateau

Le 15 août dernier, nous réapprenions l’Assomption de la Très Sainte Vierge Marie. Et nous apprenions le départ de Dom Forgeot à l’éternité.

Il est difficile d’écrire sur un Père Abbé, un religieux dont la première caractéristique est l’humilité et le «retrait du monde». Autant gloser sur la vie cachée du Seigneur à Nazareth… Toutefois nous avons les Evangiles dont celui de St Luc sur cette période de la vie du Seigneur. De même nous avons quelques aperçus sur la vie monastique bénédictine. Et quelques confidences recueillies nous permettent de saluer d’ores et déjà la mémoire du Père Abbé émérite. En attendant, s’il plait à Dieu, la parution d’une biographie plus ample et détaillée.

Dom Antoine Forgeot est né au sein d’une famille basque, comptant plusieurs militaires[1]. Il avait fait profession dans l’ordre de Saint Benoit, le 15 août 1955, et avait été ordonné prêtre en 1964. 3 attitudes nous retiendront surtout ici ; douce fermeté, humilité et joie.

Douce fermeté

Comme ses prédecesseurs, Dom Forgeot eut à cœur de maintenir une « via media », dans la double fidélité aux traditions monastiques bénédictines et au Saint Siège. Il rejoignait là-dessus la pensée et l’action du Cardinal Ratzinger, qui était venu présider un colloque sur la liturgie à l’Abbaye, en 2001. Devenu pape, et recevant Dom Pateau et son prédecesseur, Benoit XVI avait seulement dit au nouveau supérieur; « Demeurez fidèle à l’héritage du cher Père Abbé ».

L’abbaye était une de ces micro-chrétientés devenues aujourd’hui vitales[2], des «zones de protection et de résistance[3]» évoquées par le Saint Père. Cette fidélité étant indissociable de la fécondité spirituelle, Fontgombault deviendra sous son abbatiat « mère » de 3 abbayes filles ; Randol, Triors[4], Clear Creek, Gaussan (puis Donezan).

Humilité

Elu et installé en 1977 comme 3Ème Abbé de Fontgombault[5], après Dom Edouard Roux et Dom Jean Roy, il se voulait héritier de Dom Gueranger, Dom Delatte, et Mère Cécile Bruyère.

La bénédiction abbatiale est constitutive (donnée une fois pour toute, perpétuellement, à une personne), l’exercice de la charge est transmissible. Ceux qui ont exercé une charge et l’ont transmise ensuite connaissent le dernier temps de l’autorité; l’effacement. Dom Forgeot a connu cet effacement. Il faut une vraie maturité spirituelle pour reprendre alors sa place dans un ensemble que l’on a conduit auparavant. Maturité d’autant plus grande que l’on a plus intensément exercé cette charge. En effet, le rayonnement d’une abbaye et de son supérieur, en temps de crise dans l’Eglise et la  vie religieuse, dépasse souvent la clôture. Combien de communautés naissantes ou éprouvées, de familles, de clercs et de fidèles ont trouvé une oasis à l’Abbaye, et un conseil, un encouragement, une lumière auprès de son Abbé…

Cette humilité transparaissait peut-être spécialement chez lui dans la célébration de la messe. Il était tout en même temps effacé derrière le Christ Prêtre en la Personne duquel il agissait – et pleinement absorbé, appliqué, imprégné du Saint Sacrifice qu’il offrait.  «Lorsqu’on voyait le Père Abbé célébrer, on était frappé à la fois par sa grande fidélité aux rubriques liturgiques, et aussi par son intériorité, par son effacement pour être le plus transparent possible au mystère. Il était comme une fenêtre ouverte sur Dieu[6]».

Joie

Cette allégresse spirituelle qu’évoque la Règle, il en était irradié, et irradiant, notamment dans son regard pétillant et vif. Il avait dit simplement, avec un air malicieux, en donnant l’accolade à un frère nouvellement entré ; «Ah, enfin… Depuis le temps que je vous attendais!»

Oubli de soi

Dans les derniers jours, Dom Forgeot avait dit comme en passant, à qui demandait des nouvelles de sa santé; «Oh, ça ne va pas…» Puis, tout juste après, il avait repris un autre sujet. Comme si parler de soi lui avait échappé.

2 jours avant son décès, il a été hospitalisé pour des difficultés respiratoires. Après plusieurs réanimations, il s’est éteint. Son corps transferé à l’abbaye a été veillé par ses frères de la communauté, de son retour à ses funérailles. En effet, la charité des moines « fait corps » visiblement dans la prière autour de chaque membre lors des étapes majeures de sa vie religieuse – et notamment au jour de son entrée à l’éternité. Ce jour, nos anciens dans la foi, éclairés et affermis par l’esperance et les fins dernières, l’appellent « dies natalis », anniversaire de naissance.

Touchante coincidence, Dom Forgeot a été rappelé à Dieu le 15 août. « Assomption de la Ste Vierge Marie… Fruit du Mystère ; la grâce d’une bonne mort », dit-on au fil du Rosaire…

Cette expression parle-t-elle encore ? L’instant ultime ne nous appartient pas absolument ; « on ne connait ni le jour ni l’heure ». Or l’enjeu est de taille, puisqu’à cet instant, l’âme se sépare du corps. Et dans cet état fixe et définitif, elle paraît devant Dieu son souverain juge. Moment clé donc, qu’on ne peut assurer complètement par soi-même. Mais par une autre, bien et mieux placée que nous. « Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort »… Oui, c’est bien Notre Dame qui prie pour que l’instant où l’âme se sépare du corps soit aussi l’instant où elle est unie par la grâce à son Créateur.

Il avait développé cette demande de l’Ave Maria dans une belle prière inspirée, pleine de tendresse filiale et virile;

« Notre-Dame du Bien-Mourir, Mère de Jésus et notre Mère, c’est avec la simplicité des petits enfants que nous venons à vous pour vous confier nos derniers instants et notre mort. (…) Mais pour que nous puissions affronter dans la paix cette ultime épreuve, si rude à notre nature, soyez aussi pour nous Notre-Dame du Bien-Vivre. » Parmi les milliers de personnes qui la récitaient chaque jour, j’ai connu un colonel de troupes de marine qui avait souvent cotoyé de près ce passage à l’éternité.

Le chrétien ne devance pas l’heure de Dieu, et le temps de l’Eglise. Il laisse place à son jugement. Mais il peut demander, dans l’espérance, « le lieu de rafraichissement, de lumière et de paix » pour l’un de ses frères. Et il peut prier Dieu de manifester selon sa volonté aux hommes l’union achevée d’une âme avec Lui. De manière privée, individuelle et discrète, mais de tout cœur.

Nous confions le repos de l’âme de Dom Forgeot à la Mère de Miséricorde. Il achevait aux pieds de cette Reine du ciel chaque jour de sa vie terrestre… Alors, achever le « jour de cette vie ici-bas » le 15 août est sans doute  l’ultime regard miséricordieux de Notre Dame posé sur son fils, comme un clin d’oeil maternel et providentiel. Requiescat in pace, amen !


[1]  Auguste Forgeot (1874-1927), lieutenant-colonel d’artillerie et maire-adjoint d’Anglet, lui-même fils du Colonel d’artillerie Lucien Forgeot.

[2]  L’Homme Nouveau rapporte judicieusement les mots de Dom Forgeot sur l’institution monastique « qui donne l’exemple d’une petite société chrétienne, dans laquelle tout est organisé pour que soit reconnue la Royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ : saint Benoît ne veut dans son monastère que des gens décidés à militer pour le Seigneur Christ, le vrai Roi, il le dit dès le début de sa Règle. »

[3] Benoit XVI, Le sel de la terre. Entretiens avec Peter Seewald.

[4] La fondation a demeuré sous Dom Jean Roy. Elle fut conclue par Dom Antoine Forgeot, qui procéda à la nomination et l’installation de son premier Abbé en la fête de l’Annonciation 1981.

[5] Depuis 1948, date de la reprise de la vie bénédictine à l’Abbaye.

[6] Dom Jean PATEAU, Article in memoriam à Famille Chrétienne.

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