Le testament spirituel de Patrick Buisson

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Chers amis,

Il y a un moment où, quoiqu’il nous en coûte, il faut savoir s’incliner devant les miracles du progrès. Deux siècles d’émancipation, deux siècles pendant lesquels on aura appris à l’homme à ne plus disposer de lui-même pour autre chose que lui-même. Deux siècles de Lumières ont débouché sur cette bonne nouvelle : l’humanité a enfin acquis les moyens techniques d’un suicide collectif.

Les moyens d’un suicide collectif

Ces moyens sont au nombre de trois :

  • Primo, les effets de l’activité humaine sur l’environnement qui pourraient, nous dit-on, aboutir à une situation telle que la vie sur terre risque de devenir impossible.
  • Deuzio, depuis la découverte de l’énergie nucléaire, l’humanité s’est dotée de la capacité de s’anéantir par une guerre atomique.
  • Tertio, avec la mise en circulation massive des techniques contraceptives puis abortives modernes, chaque génération est désormais en situation de décider s’il y aura une génération suivante ou non.

Je sais bien qu’il est de bon ton dans certains milieux – les nôtres par exemple – d’opposer une élite corrompue et pervertie à un peuple opprimé et innocent, à un peuple exonéré de toute responsabilité dans ce qui lui arrive. C’est ce que j’appellerai l’un de ces produits manufacturés de la non pensée populiste. Comme si les peuples n’avaient pas les élites qu’ils méritent ! Renan disait dans sa célèbre conférence de la Sorbonne en 1882 : « L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ». Les résultats de ces plébiscites sont aujourd’hui implacables : c’est un suicide démocratique auquel nous assistons.

Depuis le milieu des années 60, les Français ont fait progressivement le choix d’arrêter la reprogrammation de la vie. Comme l’a observé le grand historien Pierre Chaunu, le crach de la foi a été l’élément psychologique central du collapsus démographique. Tous les anthropologues vous le diront, la foi est la célébration de la fertilité, l’exaltation du génératif. Il y a là une corrélation absolue : la crise de la reproduction de la vie aura été la conséquence de la crise de la reproduction des systèmes de sens qui lui donnaient une signification, les grands systèmes qu’ils soient spirituels ou politiques. « La descente du religieux par l’ascenseur, écrit Chaunu, a entraîné une descente de la vie d’abord par l’escalier puis la tête la première par la fenêtre. » Dans les années qui ont immédiatement suivi le Concile, les Français, comme l’indiquent toutes les enquêtes de l’opinion, ont cessé non seulement de pratiquer mais aussi de croire dans un au-delà après la mort. Ils sont majoritairement devenus des sociétaires du néant, des sans-abris transcendantaux. En désertant l’espérance chrétienne, ils ont également rejeté la vie. En effet, brusquement, les années 1964-1965 mettent fin à la prodigieuse dynamique du baby-boom amorcée dès 1942. Un cycle s’achève alors dans la fermentation de changements majeurs : prééminence de l’affectif sur le collectif, primat du socio-culturel sur le biologique, dissolution du sens de la continuité historique qui laisse place à l’impérialisme du moi. « Je prends mes désirs pour la réalité car je crois en la réalité de mes désirs ». Tel était le slogan de mai 1968. Ce fut l’instant du malheur.

Avec la loi Neuwirth et la loi Veil, la machine s’emballe. En moins de 10 ans, le taux de fécondité par femme dégringole de 2,9 à 1,9. Jusque-là, les couples obtenaient à peu près le nombre d’enfant qu’ils désiraient. A partir de la fin des années 70, ils ne parviennent plus à réaliser leur désir profond de descendance. 1,9 enfants obtenus pour 2,5 enfants désirés. L’implacable mécanisme du plébiscite à l’envers dont je parlais tout à l’heure s’enclenche. Le taux de fécondité passe en-dessous du seuil de renouvellement des générations, à partir de 1975.

Délivré de toute finalité collective, de tout destin communautaire, l’enfant n’est plus cet investissement sur le temps visant à une reprogrammation de l’héritage, il n’est plus cette quête d’une surdurée, cette quête d’un au-delà qui transcendait les destinées individuelles, mais au mieux un enfant-objet, le signe d’une vie de couple réussie. Tout est prêt pour le grand remplacement. Le mot n’existe pas encore, mais la menace d’un effondrement démographique de la nation française, couplée à un transfert de fécondité vers les populations immigrées aura été la référence commune de nombreux députés gaullistes qui interviendront à la tribune de l’Assemblée lors du débat sur la loi Veil.

Ce spectre du grand remplacement culturel et ethnique, qui ferait, selon le mot De Gaulle, de Colombey-les-Deux-Eglises “Colombey-les-Deux-Mosquées”, est le fil rouge qu’on retrouve tout au long des débats. Par exemple avec Michel Debré, qui dénonce avec la loi Veil une erreur historique, monumentale : « Cette loi expose la France au risque de diminuer et de vieillir alors que d’autres peuples à nos portes croissent et rajeunissent. » (Assemblée Nationale, deuxième séance du 27 novembre 1974). Avec la prophétie d’Hector Rolland, un député gaulliste : « La France a décolonisé. Elle est en train de se donner, avec cette loi, les moyens de se faire coloniser » en empêchant la perpétuation de la race. (Assemblée Nationale, troisième séance du 27 novembre 1974). En écho au Camp des Saints, célèbre fiction de Jean Raspail qui paraît à la même époque, l’économiste Alfred Sauvy, qui à l’époque est titulaire de la chaire de démographique sociale au Collège de France écrit : « Le pays qui recourrait systématiquement à l’immigration risquerait non seulement une révolte de ces mercenaires en situation inférieure mais probablement une sorte de décomposition par perte du sens de la vie. » (Automne 1973) Nous y sommes !

Suprême ironie de l’histoire, c’est ce même Sauvy qui en annonçant une submersion de l’Europe en 1974, notait que la pilule, conçue pour arrêter la prolifération des peuples pauvres du Tiers-monde aura eu pour conséquence d’entraîner la stérilité volontaire des pays riches. Car telle est bien l’histoire ! La conclusion qui s’impose à lui comme elle doit aujourd’hui s’imposer à nous : un peuple qui sous-traite la fabrication d’enfants aux populations immigrées et n’a plus la volonté de se reproduire et de reprogrammer la vie est un peuple qui consent à être remplacé et à sortir de l’histoire. Il en porte, quelque soient ses excuses par ailleurs, la responsabilité historique.

L’Islam n’est pas la cause de nos malheurs

L’urgence commande de cesser de nous mentir. Non ce n’est pas la faute de l’Islam si nos églises se sont vidées, non ce n’est pas la faute de l’Islam si les Français ont cessé de se reproduire. Tout indique que ce pays réel, ce pays fantasmé dont nous aimions à célébrer hier le plébiscite quotidien en faveur de la nation, ce pays-là n’existe plus ! Et il ne peut renaître que s’il prend conscience des causes profondes de sa décomposition. Je lisais cette semaine dans la presse que 90% des Français, selon un sondage Harris Interactive, se déclarent aujourd’hui favorables à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Et savez-vous dans quel électorat le score d’adhésion à cette idée est le plus élevé ? Celui de la France Insoumise ? Non. Celui du Rassemblement National ! 91% à l’unisson de Marine Le Pen adhérent à cette idée, confirmant d’ailleurs la métamorphose sociologique et idéologique de cet électorat, qui passe du statut de “peuple-nation” à celui de “peuple-classe”, selon une conception purement et exclusivement matérialiste. Ainsi donc, la France s’apprête à inscrire dans la loi suprême ce qui est à l’origine de son déclin. Nous nous apprêtons à faire de notre sortie de l’histoire un principe de vie commune.

Les lois Neuwirth et Veil sur la pilule, car il y a eu une loi Veil sur la pilule qui remboursait cette dernière, en 1974, votées officiellement pour être un remède à l’avortement, se sont révélées être en réalité leur avant-propos. La loi Veil qui voulait que l’IVG reste une exception, un ultime recours, a ouvert la voie comme le prophétisait Jean Foyer en 1974, à l’avortement de masse, à l’avortement sans limite. Jamais politique publique n’aura connu un aussi cinglant échec par rapport à ses objectifs initiaux. Jamais un tel fiasco n’aura été aussi bruyamment louangé, vous l’entendez de toute part. En sacralisant ce nouvel ordre moral, nous avons sacralisé la triade de notre suicide collectif : avortement, mariage homosexuel et demain, bien sûr, euthanasie.

Ce plébiscite n’est ni plus ni moins un non à l’avenir, un refus de la vie et de la continuité historique, la consécration d’une culture de mort, le droit à une mort autodéterminée. Voilà donc le stade terminal de l’émancipation promise ! L’homme non plus seulement émancipé de la nature mais aussi émancipé de la vie. Viva la muerte ! Tel est l’aboutissement des Lumières, tel est le cri de ralliement que nous propose la modernité, telle est notre nouvelle signature civilisationnelle.

Dans ces conditions, il est parfaitement abusif de parler, comme vous l’entendez dès que vous ouvrez aujourd’hui le moindre média audiovisuel, de guerre de civilisation à propos de la situation que nous vivons. Ce qu’on nous propose de défendre face à l’Islam, ce n’est plus la civilisation traditionnelle de l’Occident, c’est une non-civilisation, une décivilisation, pour macronner, pour parler comme Macron. La religion, ce sont les murs porteurs d’une civilisation : retirez-les et tout l’édifice s’effondre. La part de sacré que contient le nouvel Islam en France nous est devenue complètement étrangère, si bien qu’il y a dans une certaine détestation de l’Islam, il faut bien le reconnaître, un violent rejet de vertus dont ce dernier s’est fait le conservatoire et que nous avons perdues en cours de route : abnégation, sacrifice de soi, sens de la communauté.

Une civilisation n’est forte que de ses martyrs

D’une certaine manière, l’Islam est le miroir de notre déclin, de notre apostasie générale. Il nous renvoie l’image de ce que nous ne sommes plus. Ceux qui ne sont pas capables de croire trouvent toujours incompréhensible et déraisonnable la religion des autres. Une civilisation n’est forte que de ses martyrs, de ceux qui acceptent à un moment de se sacrifier pour elle. Pour le comprendre, il suffit de relire Sénèque : « Quiconque néglige sa vie est maître de la vôtre ». Ben Laden ne disait pas autre chose lorsqu’il proclamait : « Nous vaincrons l’Occident car nous aimons autant la mort que vous aimez la vie ».

Qu’avons-nous à opposer à l’Islam dans cette soi-disant guerre de civilisation ? Qu’avons-nous à opposer à la nuit islamiste hormis l’obscénité marchande, la laïcité et le droit au blasphème, le gauchisme culturel et l’idéologie du genre ? Ceux qui vaticinent et semblent en appeler à un scénario de guerre civile sont des inconscients et des irresponsables. Qui voudra mourir demain pour le drapeau arc-en-ciel ? Car notez-le, la République, qui reconnaît le droit au blasphème quand il s’agit de Dieu, a créé un nouveau périmètre du sacré, une sorte de religion civile pour tout ce qui concerne les droits des minorités. Là, non seulement le blasphème est interdit mais il est sévèrement sanctionné à travers tout l’arsenal dispositif que le législateur a institué à l’encontre des blasphèmes attentatoires aux valeurs de la République. Ces chères valeurs de la République ! A ces soi-disant valeurs, il accordé une protection qu’il refuse aux religions monothéistes. Cela s’appelle la loi Pleven, la loi Gayssot, la loi Taubira sur la traite des noirs et l’esclavage, la loi Raffarin sur l’homophobie, j’en passe et des meilleures.

C’est donc ça le nouveau sacré qu’on nous propose de défendre ?! Chers amis, soyez-en persuadés : si nous n’avons que le string à opposer au voile, alors nous sommes perdus. Si nous n’avons que Houellebecq à opposer à l’Islam, alors nous sommes moribonds. Si nous n’avons que Mila à opposer au tchador, alors nous sommes finis. Si nous n’avons que le nihilisme à opposer au salafisme, alors nous sommes morts.

La pandémie a eu au moins un mérite : elle est venue nous rappeler, à travers la panique qui s’est emparée de la société civile, que le besoin irrépressible des hommes ne tient ni à la demande d’ordre, ni à la demande de justice, mais à la demande de signification, à la demande de sens. Les hommes veulent qu’on les ravitaille en espérance ou en utopie, en raisons de vivre et ce qui est plus difficile encore, en raisons de mourir.

La sortie de la religion

Depuis les travaux de Marcel Gauchet, adoptés dans l’enthousiasme par l’ensemble de la doxa, la sortie de la religion, entendue non comme la fin des croyances individuelles mais comme la fin de la capacité du religieux à structurer la société et la politique ; tout le monde est d’accord là-dessus. Or ce point de vue me paraît devoir être tempéré par quelque chose dont on ne parle jamais, à savoir, ce qui est finalement le pendant de la sortie de la religion et notamment du catholicisme, la crise de l’athéisme. Personne n’en parle, mais la déchristianisation s’accompagne d’une crise profonde de la France laïque qui était jusqu’à présent par l’existence du catholicisme comme religion dominante préservé de la question ultime. A partir des années 90 émerge effectivement le problème fondamental de l’incroyance qu’on peut résumer en une phrase : l’inexistence de Dieu ne résout pas le problème des fins dernières de l’existence humaine. L’athéisme ne débouche que sur un monde dépourvu de sens et une espèce humaine sans projet. Pour la première fois, la France laïque doit vivre dans l’absolu d’un monde sans Dieu, privée qu’elle est de la ressource morale et psychologique que constituait le catholicisme. Il n’y a plus d’ennemi en face. En d’autres termes, l’athéisme se trouve face à lui-même, c’est-à-dire confronté au vide. Longtemps, on a pu croire que les idéologies politiques modernes allaient pouvoir se substituer durablement aux croyances religieuses. Ce n’est pas ce qui est arrivé : on a vu, dans la France des années 1970 que la chute du parti communiste a suivi celle de la pratique religieuse.

Quand Bernanos peu avant sa mort en 1948, disait que ce n’était pas tant l’Etat que la société qui se dissolvait, et que pour refaire la France, il fallait d’abord refaire des Français, il voyait bien que la politique n’était qu’un instrument de redressement illusoire. N’en déplaisent aux adeptes de la sortie du religieux, l’humanité a toujours eu deux cordes à son arc. Lorsque les idéologiques politiques n’ont plus rien de religieux, lorsqu’elles ne sont plus capables de fournir autre chose qu’un opium frelaté, un opium de mauvaise qualité, ce sont les croyances religieuses qui se repolitisent.

Pas de société sans un sacré partagé

On le voit aujourd’hui avec l’Islam qui nous démontre chaque jour qu’on ne fait pas société, on ne fait pas communauté, sans un sacré partagé. C’est Régis Debray qui dans un de ses derniers livres écrivait : « Les croyances religieuses d’hier supposaient l’autorité du passé, parce que le Sauveur, le Messie, le Prophète sont dernière nous, tandis que les croyances politiques transfèrent l’autorité au futur où nous attendent bonheur, liberté et justice » – l’âge d’or.

Avez-vous remarqué, chers amis, que c’est l’espérance qui mobilise, qui galvanise ? C’est toujours un passé à faire revenir. Pour les catholiques, c’est le retour du Christ ; pour les musulmans, c’est l’Islam de Médine ; pour les communistes, c’est le communisme primitif.

Simone Weil avait fait elle aussi ce constat : « D’où nous viendra la renaissance, à nous qui avons souillé et vidé tout le globe terrestre ? Du passé seul, si nous l’aimons. » (La Pesanteur et la Grâce, 1942). Non le passé comme nostalgie stérile mais comme énergie accumulée, ressource de l’imaginaire, matériau de création ; non le passé comme lieu de repentance et de culpabilité, mais comme bouclier de protection contre tout ce que cette époque sans limite charrie de hideux, d’inhumain et de déraisonnable.

Regardez, écoutez autour de vous : pandémie, retour de la guerre, retour du tragique, fin de la société d’abondance. Jamais l’histoire qu’on disait achevée n’aura autant frappé à nos portes que ces dernières années. De ce retour de l’histoire, nous pouvons légitiment espérer un retour de notre histoire. Une histoire vécue ne se ressasse pas. Elle est une réserve de sagesse, une certitude exemplaire, une action génératrice d’actions. Dans les hautes civilisations, l’histoire a toujours été souveraine remembrance. Elle s’établit non sur ce qui se passe ou sur ce qui sera, mais sur l’éternité. N’en doutez pas, face à l’Islam, il ne peut y avoir de résistance temporelle victorieuse sans résistance spirituelle. Le préfixe « arché » nous le dit et comme l’indique un philologue, il signifie étymologiquement « ce qui commence et ce qui commande ». L’archaïsme ne désigne pas une chose en allée, mais une chose en attente ; non le dépassé mais le refoulé, non l’enseveli, mais le guetteur ; non l’endormi, mais le veilleur.

Chers amis, n’en doutons pas, notre salut, notre chance de renaissance est suspendue à l’intelligence de ce que nous avons été et que nous ne sommes plus.

Source : Renaissance Catholique

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