Dom Gérard - "l'Eglise et la chrétienté"

Un court et dense texte de Dom Gérard, extrait du numéro spécial que "Reconquête" lui a consacré en 2008

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l'Église et la chrétienté

Tandis que l'Église naît une fois pour toutes du cœur transpercé du Christ en croix, épouse sainte et immaculée, sans tâche ni ride, la chrétienté se dégage lentement de sa gangue historique et charnelle, mêlée aux impuretés du sang et de la terre, se purifiant par degrés, avec de longs gémissements, des cris de révolte, des échecs désastreux. Par moments les sociétés émergent du chaos, donnant lieu à de véritables ascensions de lumière : on assiste alors à un commencement de civilisation chrétienne. L'Église naît du cœur du Christ, la chrétienté naît du cœur des saints. Les saints sont les fils de l'Église; la chrétienté est la fille des saints. L'Église naît une fois et ne meurt pas; la chrétienté meurt et renaît sans cesse. Liée aux vicissitudes de l'histoire et des civilisations, la chrétienté – c'est là sa grandeur – offre un corps charnel capable, malgré tout et selon divers modes, d'être soulevé et traversé par l'action de la Grâce. (…)

La chrétienté naîtra progressivement, cherchant son chemin comme à tâtons à chaque tournant de l'histoire, vouée comme toutes les créatures au cycle impitoyable des morts et des renaissances. Car une chrétienté peut mourir; mais l'Église ne meurt pas. Et cependant l'Église a besoin de la chrétienté, comme l'âme a besoin du corps. Église et chrétienté sont dans un rapport d'acte et de puissance. Si l'on continue la parallèle, on dira que l'Église, forme céleste, est indépendante de son corps social, et ne reçoit nulle atteinte des accidents de l'histoire. La chrétienté, au contraire, sans cesse blessée, reste intimement reliée à l'Église dont elle s'avoue tributaire à chaque phase de son développement.

L'Église, cette Jérusalem d'en haut qui est notre Mère, est sainte absolument; elle n'est jamais souillée du crime de ses enfants; composée de pécheurs, elle est elle-même sans péché. La chrétienté qui est pécheresse, implore à tout moment l'Église pour recevoir, sans la ternir, la pureté de son rayonnement. L'Église a besoin de la chrétienté comme d'un champ fertile; la chrétienté a besoin de l'Église comme d'une lumière. L'Église donne à la chrétienté le trésor des communications divines, le goût de l'éternité et le détachement du temps; la chrétienté communique à l'Église son alliance avec la terre, ses vertus humaines et son inscription dans l'histoire. L'Église offre son trésor sur un plat d'argent; la chrétienté porte ce trésor dans un vase d'argile. Lorsque ce trésor sera menacé, la chrétienté se fera rempart. C'est peu, mais si l'humble rempart s'effondre, que deviendra le trésor ? Ainsi, par ce biais, Église et chrétienté entrent-elles dans un rapport de causalité réciproque.

Enfin l'Église-épouse, vierge pure, regarde inlassablement vers le ciel; la chrétienté apprend dans le sang et les larmes, parfois dans la nuit, à tracer sur terre les avenues qui conduisent au Royaume; elle dresse les parapets qui séparent de l'abîme, elle offre ses chants d'amour et ses chantes de peine auxquels l'Épouse qui est d'en haut ajoute pour notre consolation un accent particulier dont elle seule connaît la saveur, l'accent de la glorieuse et toute céleste liberté des enfants de Dieu.

Dom Gérard

Cet article est extrait du numéro spécial de "Reconquête", avril-mai 2008, publié en hommage à Dom Gérard.

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