LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT

Retour sur un mythe : La Loi Debré (1959)

Retour sur un mythe fondateur : La Loi Debré


Un article de Rémi Fontaine

dans "Présent, n° 7208 du mardi 26 octobre 2010
(suite de l'article du 29 septembre 2010)

première publication de cet article dans la Revue Itinéraires - mars 1994


Loi Falloux, loi Debré : même combat, avec une différence !

Evidemment ces deux lois ont amélioré le statu quo, comme on dit. Bien sûr, ne pouvant obtenir tout ce à quoi ils avaient droit, les catholiques ne pouvaient ni ne devaient politiquement refuser ce qui leur était offert…
Cela ne signifie pas pour autant qu’ils devaient s’en satisfaire et même s’en réjouir, comme trop l’ont fait pour l’une et l’autre loi. Car un moindre mal est encore un mal. Et l’autonomie sous conditions, si elle n’est pas l’intégration, n’est pas l’indépendance. Lacordaire l’avait assez proclamé : « La liberté ne se donne point, elle se prend… »
Depuis la loi Debré de 1959, les évêques de l’Eglise enseignante la mendient pourtant honteusement à un Etat devenu lui-même enseignant. Car la grande différence apportée par la transaction de 1959 par rapport à celle de 1850 (menée essentiellement par les deux comtes : de Falloux et de Montalembert), c’est que l’Eglise s’y est engagée pleinement, reconnaissant désormais sa dépendance à l’Etat-enseignant comme normale et légitime.
En témoigne par exemple cette déclaration de Mgr Pierre Eyt (archevêque de Bordeaux et membre de la Congrégation pour l‘éducation catholique à Rome), commentant le nouveau statut de l’Enseignement catholique (promulgué par la Conférence des évêques de France, le 14 mai 1992) : « Il est primordial que soit reconnue sans arrière-pensée la légitimité de l’exercice de la compétence de l’Etat. “Celui-ci, a dit le Premier ministre dans la déclaration de politique générale du gouvernement du 8 avril 1993, doit conserver la responsabilité de l’enseignement qui est l’une de ses missions essentielles. L’Etat doit coordonner notre système d’enseignement, en fixer les principes, en définir les programmes, en vérifier les diplômes… Il doit garder ses attributions en matière de recrutement, de formation et de rémunération des maîtres et des enseignants.” » (Conférence prononcée au cours des assises nationales de l’Enseignement catholique le 14 mai 1993 à Paris.)

Le postulat de l’État-enseignant


Voici donc le postulat de l’Etat-enseignant tranquillement confirmé par un archevêque ! Au moins l‘évêque de Langres, Mgr Parisis, qui était député en 1850, s‘était-il abstenu le jour du vote de la loi Falloux. Car, en dépit des apports de la loi, il ne pouvait approuver ce lien de subordination qu’elle suppose entre l’Eglise (qui enseigne la vérité) et « l’Université » (qui, au nom du laïcisme, enseigne toutes les erreurs en même temps). Il s’en explique ainsi dans Soixante ans d’expérience : « Je voyais distinctement que le rejet de la loi eût été un grand malheur puisque nous y avions fait abolir la proscription des congrégations enseignantes : mais, comme, au fond, les principes étaient et sont demeurés mauvais, j’ai trouvé nécessaire de n’y pas attacher le nom du seul évêque, c’est-à-dire du seul membre de l’Eglise enseignante qui fît partie de cette Assemblée. »
Dans les Œuvres du cardinal Pie, on trouve par ailleurs ce commentaire éloquent à propos de la loi Falloux : « L’Eglise s’applique… à ne pas se laisser engager envers des principes qui ne sont pas les siens, et elle sait que l’avantage équivoque et précaire du quart d’heure ne doit en aucun cas être acheté par un sacrifice de sa doctrine ou de sa discipline, qui serait un démenti à son passé et une arme fatale contre elle dans l’avenir. »

Voilà pourquoi, en dépit des pressions ou des regrets de quelques « champions de la loi », l’Eglise en 1850 s’est dégagée de toute responsabilité directe par rapport à « cette transaction hasardeuse et à certains égards inadmissible », dont les avantages conçus par la politique demeuraient « bien en deçà de ceux qu’elle l’Eglise avait droit d’attendre d’une législation vraiment catholique ».
Depuis la loi Debré, l’Eglise de France fait malheureusement l’inverse. Elle se trouve toutes les fois au premier rang des négociations pour abandonner toujours un peu plus l’enseignement libre aux mains de l’Etat : horaires, effectifs, programmes, examens et personnel… « sacrifiant la liberté aux gros sous de l’Etat », comme disait Henri Charlier.
On l’a vu encore avec l’accord prétendument « historique » signé le 13 juin 1992 entre Jack Lang (alors ministre de l’Education nationale) et le père Max Cloupet (secrétaire général de l’Enseignement catholique). Ce véritable marché de dupes entérinait la réduction à 1,8 milliard de francs (payable en six ans) des sommes dues par l’Etat au titre du retard pris en matière de forfait d’externat (estimées entre 4 et 5 milliards !). En contrepartie de quoi, le gouvernement reconnaissait « la contribution de l’enseignement privé au système éducatif » – la belle affaire ! – ; il acceptait notamment de prendre en charge, progressivement, la rémunération des documentalistes et s’engageait, en ce qui concerne les enseignants, à « tirer très prochainement les conséquences de la création du corps de professeurs des écoles pour l’enseignement privé » en matière de formation et de recrutement dans le premier degré.

Les « champions » de la loi Debré


Bref, l’enseignement libre s’aliénait un peu plus, mais Mgr Michel Coloni (évêque de Dijon et président de la Commission épiscopale du monde scolaire et universitaire) s’extasiait : « Les représentants de l’Enseignement catholique ont été considérés comme des gens qui assurent une part de l‘éducation en France et à ce titre, ils n’ont pas eu l’impression (sic) de recevoir une aumône mais d’obtenir ce qui leur était dû normalement pour leur participation à une mission de service public. Que cela soit reconnu par un ministre (socialiste) du gouvernement actuel est nouveau. » (La Croix L’Evénement du 16 juin 1992.)
Et Mgr Eyt, déjà nommé, renchérissait : « Le socle de la loi du 31 décembre 1959 (loi Debré) aura permis une construction homogène et pertinente si, comme nous l’espérons, le fonctionnement s’avère conforme aux volontés qui ont été exprimées le 13 juin sans arrière-pensées… Il serait contraire aux intérêts des enfants, des jeunes et des familles, il serait attentatoire (sic) à l’espérance de destinée à laquelle ils ont droit que pour des motifs catégoriels, partisans et maximalistes, quelque groupe puisse mettre en cause une avancée aussi considérable vers cette « paix scolaire » à laquelle aspirent beaucoup de citoyens. » (La Croix L’Evénement du 17 juin 1992.)

Peu importe à nos évêques actuels le coût de la prétendue « paix scolaire », seul compte le fait symbolique à leurs yeux qu’il n’y ait pas de « guerre scolaire » et que l’Enseignement catholique ait sa place reconnue dans le monopole étatique, fût-ce au prix de ses principes ou d‘énormes sacrifices.
Ils ignorent en cela qu’il y a quelque chose de pire que d’avoir la guerre : c’est de la perdre ! Or, d’allégeance en allégeance, de concession en concession, l’aliénation progressive de l‘école catholique constitue une pitoyable défaite où l’on aura vu à maintes reprises l‘épiscopat agir contre son propre camp, c’est-à-dire contre le droit naturel des familles et le droit surnaturel de l’Eglise.

On se souvient du fameux reproche qu’adressait Jean Jaurès aux députés catholiques français lors du vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 : « Nos adversaires nous ont-ils répondu ? Ont-ils opposé doctrine à doctrine, idéal à idéal ? Ont-ils eu le courage de dresser contre la pensée de la Révolution l’entière pensée catholique qui revendique pour Dieu, pour le Dieu de la révélation chrétienne, le droit non seulement d’inspirer et de guider la société spirituelle, mais de façonner la société civile ? Non, ils se sont dérobés ; ils ont chicané sur des détails d’organisation. Ils n’ont pas affirmé nettement le principe même qui est comme l‘âme de l’Eglise. »
C’est ce qui s’est reproduit avec les « champions » catholiques de la loi Debré, évêques compris. En 1850, « les catholiques avaient demandé la liberté, on leur faisait simplement une petite part dans le monopole », constatait Louis Veuillot. Depuis 1959, ils ne demandent même plus la liberté mais une part accrue dans le monopole…

Une « déconfessionalisation » de droit


Et l’Eglise de France, par une conversion sidérante (qui se réclame du sacro-saint esprit conciliaire), vient aujourd’hui appuyer de fait la « déconfessionnalisation » de droit impliquée par la loi pour les écoles catholiques (1). Elle en rajoute même, proposant dans le privé une laïcité dite « ouverte » ou « positive » en remplacement de la laïcité de stricte observance du public. C’est-à-dire qu’elle conjugue la laïcité avec la (fausse) liberté religieuse au lieu de la conjuguer avec la (prétendue) neutralité. L‘école catholique n’est plus prosélyte ni même confessionnelle (comme l’est négativement l‘école laïque) : « Notre exigence, résume le père Max Cloupet, est d’accueillir tout le monde, y compris dans leur diversité et je ne crois pas d’ailleurs que la neutralité soit la plus à même de le faire. Il est même plus facile pour nous d’accueillir les petites musulmanes voilées car les choses sont claires pour nous et pour elles. » (AFP, 23 décembre 1993.)
Cette révolution copernicienne par laquelle, sous couvert d’esprit conciliaire, les évêques de l’Eglise enseignante acceptent maintenant de se placer sous l’autorité d’un Etat-enseignant en matière d‘éducation, et subordonnent leur foi catholique à la « foi laïque » (comme l’a appelée Michel Rocard), fût-elle ouverte ou non, laisse pour le moins perplexe.
La position, que Pie IX fit connaître par son nonce apostolique (Mgr Fomari) relativement à la loi Falloux, aurait dû demeurer celle de l‘épiscopat français par rapport à la loi Debré : si l’Eglise sait se contenter d’une loi imparfaite quand « cette liberté légale est compatible avec son existence » et ses devoirs, elle « ne peut donner son approbation à ce qui s’oppose à ses principes et à ses droits ».
En voulant au contraire unir (d’un mariage d’amour !) l’esprit de Vatican II (et son interprétation de la liberté religieuse) à la lettre de la loi Debré (et son interprétation de la laïcité constitutionnelle), l’Eglise de France a condamné l‘école catholique à mettre son drapeau « au coin », l’enfermant dans une relégation sans issue, indigne d’elle.
En acceptant le principe selon lequel l’Etat est grand-maître d‘école, elle a fait perdre à l‘école catholique ses défenses immunitaires et sa capacité missionnaire, s’interdisant dorénavant de faire le procès de l‘école laïque, voire même de lui faire concurrence. C’est depuis plus de trente ans le préambule inévitable de tous les discours officiels des représentants de l’Enseignement catholique : — Nous n’avons rien contre l‘école publique !
Eh bien si justement, il faut tout avoir contre elle, non seulement à cause de ses fruits lamentables, mais surtout par principe. Car l’Etat n’est ni compétent ni désintéressé pour tenir école !
Contre elle (l‘école publique), « jamais nous ne voudrions brandir je ne sais quel mauvais drapeau », indiquait pourtant Mgr Veuillot, en 1965 déjà.
Ce à quoi Henri Charlier répondait dans Itinéraires : « Je ne vois à brandir pour nous que le drapeau de la foi. Il proclame que Dieu est le créateur, l’instructeur et le sauveur de l’humanité et que toute société qui l’oublie court à sa perte. Qui le cache trahit la foi. Mais n’est-ce pas justement contre ce drapeau que l’Université combat depuis qu’elle est fondée ?»
C’est pour rehisser ce drapeau le long des hampes retrouvées de nos écoles catholiques qu’il nous faut combattre la loi Debré et son postulat d’une « Education nationale », totalitaire et souveraine. Comme Louis Veuillot fustigeait hier la loi Falloux et ses concessions au monopole étatique de l’« Université ». Avec cette différence insigne qu’il faut le faire aujourd’hui sans (voire contre) nos évêques…

REMI FONTAINE

« Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous, indique la loi Debré dans son premier article, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’Etat. L‘établissement. tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances y ont accès. » Pour ces écoles sous contrat sont notamment prévus : — un enseignement donné selon les programmes et règles de l’enseignement public ; — des maîtres nommés par l’Etat sur proposition de la direction, salariés de l’Etat et ayant un statut de contractuels ; — un contrôle pédagogique et financier rigoureux assuré par l’Etat ; — la possibilité d’extension ou de création à condition que le « besoin scolaire » soit reconnu par l’Etat…