Quelques livres sur l’islam

Un article de Danièle Masson paru dans "Présent" du samedi 10 septembre 2011

Un article de Danièle Masson paru dans "Présent", n° 7430, du samedi 10 septembre 2011


Bernard Antony - "Dieu et les hommes dans le Coran" (Ed. Godefroy de Bouillon, 2010)

2011.09.10_Islam_Antony_Coran.jpeg Le petit livre "Dieu et les hommes dans le Coran" , de Bernard Antony, vient heureusement compléter "L’islam sans complaisance", synthèse de tout ce qu’il faut savoir sur les origines de l’islam, sur son histoire, ses dissidences et ses constantes, sur ce qu’on appelle – antiphrase ou hyperbole ? – la « civilisation arabe ». En somme, un « islam pour les nuls » non coraniquement formatés, qui dissipe une double illusion, celle du dialogue islamo-chrétien, celle des distinctions (« pas d’amalgame ! ») entre islam et islamisme.
Dieu et les hommes se présente comme un commentaire (pages de droite), attentif et sans indulgence, des sourates (pages de gauche) choisies non selon l’ordre coranique (dont le critère est la longueur des textes), mais selon un ordre thématique qui privilégie, comme le suggère le titre, les relations d’Allah et des hommes.
Sans doute le film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, a-t-il inspiré à l’auteur l’idée et la structure de son livre. Film esthétiquement réussi et qui donne du christianisme une image émouvante, il est aussi coraniquement correct puisqu’il exonère l’islam, par un usage très sélectif des sourates, de toute implication dans la violence terroriste.
D’où le nécessaire recours aux textes. Ainsi le prince Issa, évoqué par Christian de Chergé, n’est pas, rappelle Antony, s’appuyant sur Thérèse et Dominique Urvoy, le Yasù (« Dieu sauve ») de l’Evangile, mais « Jésus fils de Marie », elle-même sœur d’Aaron : « Il n’est pas Dieu, ni fils de Dieu ; il n’a pas été crucifié ; il n’est pas la seconde personne de la Sainte Trinité », la Trinité chrétienne étant assimilée au polythéisme, et le mot « personne » n’ayant pas de traduction en arabe.
Antony rappelle aussi que le massacre des moines de Tibéhirine était justifié par la sourate 9, incitant à « frapper de l‘épée » les moines, abrogeant la sourate 5, invitant à l’amitié pour « les moines qui ne s’enflent pas d’orgueil ». Mais à vrai dire, nul besoin d’abroger la sourate 5, où « les moines qui ne s’enflent pas d’orgueil » sont les convertis à l’islam : « Tu vois leurs yeux déborder de larmes, lorsqu’ils entendent ce qui est révélé au Prophète, à cause de la vérité qu’ils reconnaissent en lui ».
Ce qui frappe le plus dans la lecture des sourates c’est l’absence de liberté, et par conséquent d’amour : « Nous attachons son destin au cou de chaque homme », dit la sourate 17. Prenant modèle sur Allah, l’homme non plus ne donne pas de liberté à la femme : « Une femme ne doit jamais se refuser à son mari, même si c’est sur la selle d’un chameau. »
Le texte du Coran, « dicté et non inspiré », n’admet aucune participation humaine. En revanche, je me rappelle Emile Poulat évoquant un tableau de l‘église de Saint-Louis-des-Français à Rome : une première version, à Berlin, détruite en 1945, avait été considérée comme hérétique. On y voyait l’ange tenant la main de saint Matthieu. Dans la deuxième version, l’ange est là ; mais il ne tient plus la main : l’inspiration ne supprime pas la liberté humaine.
Face à cette radicale opposition entre la conception chrétienne et la conception musulmane de la liberté humaine, on est surpris de lire sous la plume de Christian de Chergé : « Jésus était le musulman le plus parfait, au sens de l’homme le plus parfaitement soumis à la volonté de Dieu. » Chergé confond la soumission (musulmane) et le consentement (chrétien) : la première exclut la liberté, le second la suppose.
Si le Coran est à l‘évidence une manière de copier-coller des textes judéo-chrétiens, il les modifie aussi en profondeur : ainsi, alors que dans la Genèse (2,19), Yahvé amène à l’homme toutes les bêtes sauvages et les oiseaux du ciel, « pour voir comment il les appellerait », Allah, dans le Coran (sourate 2,31) « apprit à Adam le nom de tous les êtres ».
Si Bernard Antony traite avec ironie du Coran, texte éternel et intouchable et qui fourmille cependant de textes « abrogés » et de textes « abrogeant », il ne s’attaque pas au dogme de l’existence de Mahomet, ce qui serait selon lui du négationnisme (1).

Laurent Lagartempe - "Origines de l’islam" (Editions de Paris, 2009)

2011.09.10_Islam_Lagartempe.jpeg Et pourtant, la lecture de Laurent Lagartempe, Origines de l’islam, au chapitre XIII, « Le temps des Abbassides, 750 »… incite au doute.
Avec quelques arguments de poids : la biographie de Mahomet est axée sur deux cités qui n’existaient pas à l‘époque : La Mecque et Médine ; Mhmd est d’abord un surnom tiré du texte hébreu de la Bible et appliqué aux caïds ; malgré dix femmes, vingt-trois concubines et de multiples esclaves, Muhammad n’a aucune descendance masculine, ce qui est infamant pour les musulmans.
En outre, il n’y a pas de mention d’envoyé d’Allah avant que les Abbassides fassent composer la biographie, tardive et hagiographique, du prophète Muhammad.
D’où l’hypothèse, assez convaincante, de Lagartempe : pour rivaliser avec le judaïsme (Dieu parle aux juifs par Moïse) et le christianisme (Jésus, fils de Dieu), et pour couper court à toute revendication de pouvoir fondée sur une filiation généalogique, les Abbassides fabriquent, à partir d’un groupe composite d’ambitieux, un prophète sans descendance mâle, mais d’ascendance proche de celle d’Ali, le saint martyr abbasside.

Antoine Moussali - "La Croix et le Croissant" (Editions de Paris, 1998)
et "Vivre avec l’islam ?" (Saint Paul, 1996)

2011.09.10_Islam_Croix_croissant.jpeg Bernard Antony, qui emprunte beaucoup au Père Antoine Moussali (2), reconnaît sa dette : « ce que j’ai appris de plus profond sur l’islam, c’est du père Antoine Moussali que je le tiens ». Et cette conviction s’impose à la lecture de La Croix et le Croissant et de sa contribution au livre dirigé par Annie Laurent, Vivre avec l’islam ?
Pourquoi cette conviction ?
Parce qu’Antoine Mousssali, prêtre lazariste d’origine libanaise, se reconnaît « Arabe chrétien », d’une « arabité fondée sur une même culture partagée et non point sur une ethnie inexistante ». Parce qu’il connaît bien l’arabe et, sachant psalmodier le Coran, il sait en reconnaître les ajouts et les modifications, et conclut que le Coran est un texte « repris, remanié, manipulé à plusieurs reprises ».
Parce que, ayant vécu au Liban, en Syrie, en Algérie, avant d’achever sa vie en France, il en a aimé les fils : « J’ai trop aimé les Syriens et les Algériens. » On sent chez lui l’harmonieuse conjugaison d’une bienveillance naturelle et d’une charité surnaturelle qui n’excluent pas l‘érudition.
L’analyse qu’il fait de l’islam n’en a que plus d’impact. Il distingue fortement les musulmans et l’islam, les hommes qu’il faut aimer et une religion hostile au christianisme : « Le Coran se présente comme le refus catégorique du mystère de Dieu manifesté dans le Christ, Fils de Dieu. » D’où l’ambiguïté et l’impasse d’un dialogue théologique islamo-chrétien.
Si le texte coranique apparaît au Père Moussali « de plus en plus comme un pur produit d’un de ces courants judéo-chrétiens répandus et influents dans les siècles ayant précédé l’islam », et si pour lui une des raisons des modifications apportées au texte est « d’effacer son passé judéo-chrétien », il montre que les notions et les êtres n’ont pas le même sens dans le Coran et dans les textes bibliques.
Abraham ? Dans l’Ancien Testament, il est le personnage de l’alliance et de la promesse, dans le Coran, il est l’exemple type de la soumission aveugle à Dieu.
Dans l’Ancien Testament, Dieu crée l’homme à son image et ressemblance ; dans le Coran, Dieu façonne l’homme selon « telle forme qu’il a voulue ».
D’où l’absence de relation entre Allah et la personne humaine. Notons en passant que la comédie dramatique Confidences à Allah, avec la miraculeuse Alice Bélaïdi, qui fut la révélation de l’Off d’Avignon en 2008, illustre de façon savoureuse la quête de cette impossible relation.
D’ailleurs, remarque Antoine Moussali, le Coran ignore la « personne ». Le mot « chakhç » signifie « statue », et son sens n’a pas évolué, contrairement au latin « persona » qui, de « masque », devient la réalité constitutive de l‘être humain, au point d‘être définie par Boèce « substance individuelle de nature relationnelle ». Boèce, 524 : un siècle avant l’islam. Et Antoine Moussali a cette parole profonde : « je réalisais quelle immense déflagration a constitué la notion de Personne… Car tout ce qui touche à Dieu touche à l’homme, inéluctablement et réciproquement ».
En digne fils du Liban et en tant que prêtre arabe, Antoine Moussali se définit comme un « semeur d’interrogations », mais il a aussi ses réponses. Pourquoi, demande-t-il, les Arabes ont-ils une propension quasi naturelle à se doter de régimes totalitaires ? A cause du « monothéisme radicalisé » qui produit le « monisme de la pensée unique ». A cause d’une conception de l’homme radicalement opposée dans l’islam et dans le christianisme : dans l’islam, l’homme est abd-Allah : serviteur, esclave de Dieu. Dans le christianisme, il est le fils adoptif de Dieu. S’il y a une théologie chrétienne, en revanche, « il n’est pas dans la vocation de l’islam de se poser la question de l‘être même de Dieu ». D’où l’orthopraxie : règles du comportement qui apporte le salut, préférée à l’orthodoxie : l’enseignement de la vérité.
D’où la charia régissant tout dans la plupart des pays musulmans, où l’islam est la religion de l’Etat, et qui ne peuvent souscrire à la charte de l’ONU, la charia tenant lieu de charte.
On peut ne pas souscrire à l‘éloge, typiquement libanais, qu’Antoine Moussali fait de la démocratie comme antidote au totalitarisme, mais on lui laissera pour conclure la parole, qui révèle à la fois la finesse de son style et la profondeur de son âme.
A Allah qui s’impose à l’homme, il oppose « le christianisme qui inverse les choses : c’est Dieu qui pose la question de savoir comment s’y prendre pour amener l’homme à lui, et l’amener à croire dans l’amour ». Et encore : « Si législation il y a, elle ne peut être le fait que d’une initiative d’amour qui accepte de se plier dans une longue patience aux lenteurs et aux hésitations de l‘être aimé ».

Danièle Masson


1) On révélera une erreur typographique, page 15 : la traduction française du Coran n’est pas de « Danielle Masson », mais de Denise Masson (!).
2) Notre rédaction a eu l’honneur et le plaisir de rencontrer le Père Antoine Moussali à Amiens, peu avant sa mort. Il nous a envoyé plusieurs articles que le lecteur pourra trouver sur notre site : www.reseau-regain.net, sous l’onglet « 2 Accueil l’escritoire » puis « 2Da-Islam ».