"La personne humaine et la famille ne tirent pas leur identité et leur légitimité de l’Etat"

Un texte fort de Mgr. Brouwet

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Extraits d'une lettre complète de quatre pages de monseigneur Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes :

"On reproche parfois à l’Eglise son moralisme. Mais le sentimentalisme diffus dans lequel la question du « mariage pour tous » est traitée par bien des media ne fait pas honneur à la raison humaine : il ne suffit pas d’additionner des témoignages émouvants, souvent, d’ailleurs, en faveur exclusive des couples homosexuels, pour faire mûrir une réflexion en profondeur.
Il semble y avoir assez peu de travaux de juristes, de psychologues, d’éducateurs ou d’historiens sur la question du mariage des homosexuels et de l’adoption d’enfants par des couples de même sexe. Des professionnels sans parti pris parleront-ils ? En ont-ils même la liberté ? Accepteront-ils aussi de parler et d’écrire dans des revues scientifiques, même s’ils vont à contre-courant du discours médiatique ? Y aura-t-il une place faite pour des témoignages contradictoires ou la parole ne sera-t-elle donnée qu’à ceux qui militent pour ce projet de loi ? (...)
Quelle est la question posée par le projet de loi sur le mariage et l’adoption pour les personnes homosexuelles ? C’est celle du mariage et de la famille qui, lorsqu’ils constituent un foyer aimant, sont des fondements de notre vie sociale.
Le mariage engage un homme et une femme qui s’aiment. C’est-à-dire deux personnes possédant la même humanité, deux personnes totalement égales en dignité, mais dissemblables parce qu’elles sont de sexe différent. Chacune a sa manière de vivre son humanité : un homme ne pourra jamais comprendre totalement ce qu’est la féminité. Une femme ne pourra jamais saisir parfaitement la version masculine de l’humanité. Ce qui fonde notre vie sociale, c’est l’acceptation de ne pas pouvoir être l’humanité à soi tout seul ; c’est l’acceptation de cette différence sexuelle fondamentale qui fait que je ne peux prétendre me suffire à moi-même. (...)
Le consentement à cette différence sexuelle incontournable – chacun de nous naît homme ou femme et il naît aussi d’un homme et d’une femme – fonde le consentement à toutes les différences auxquelles je suis confronté dans mon existence. Accepterai-je ou non celui qui est différent de moi ? Parce qu’il vient d’une autre culture, parce qu’il est moins riche, parce qu’il est d’un tempérament plus vif, parce qu’il est plus doué ?...
Cette différence sera-t-elle pour moi un enrichissement ou la vivrai-je comme une remise en cause insupportable de ce que je suis ? Le mariage engage un homme et une femme qui s’aiment. Le mariage, dans lequel s’exprime un amour vivant et libre, est l’ouverture de l’homme et de la femme à ce monde-là. A un monde où j’accepte de ne pas être une totalité à moi tout seul pour construire, avec une personne de sexe différent, une société plurielle.
De ce mariage naissent des enfants. Pour qu’un enfant vienne au monde, il faut un homme et une femme. La fécondité biologique repose sur l’altérité sexuelle. La technologie actuelle peut évidemment cacher cette réalité, en inséminant une femme seule par exemple ; mais elle ne pourra jamais la contredire. Et si un enfant naît d’un homme et d’une femme, c’est parce qu’il a besoin de son père et de sa mère – un père et une mère qui s’aiment – pour s’ouvrir à cette différence sexuelle radicale, la comprendre et l’assumer. La famille est un lieu d’éducation à la vie sociale : on y vit avec des personnes de sexes différents, d’âges différents, de caractères différents. On y apprend à cohabiter, à faire ensemble des projets, à dialoguer, à se pardonner, à se connaître et à prendre soin de l’autre. Tout cela se fait dans le climat d’une différence sexuelle acceptée et vécue par le couple parental.
C’est pourquoi le mariage et la famille sont fondateurs pour notre vie en société. Parce que la famille a pour tâche d’éduquer au vivre ensemble ; et qu’elle repose sur un lien conjugal qui est un véritable projet social. En effet, le mariage n’est pas seulement la reconnaissance publique d’un sentiment de tendresse qui unit les époux : il est un engagement dans la durée à fonder un foyer et à élever des enfants pour construire, avec d’autres familles, la communauté politique à laquelle on appartient. Une société n’a d’avenir que si des familles stables regardent au-delà d’elles-mêmes, prennent leurs responsabilités dans la construction du monde, assurent le renouvellement des générations et éduquent à la vie sociale. La famille est donc la première communauté dans laquelle l’individu est inclus de manière naturelle, c’est à dire sans qu’il le cherche : la personne humaine appartient de fait à une famille. C’est pourquoi la personne humaine et la famille ne tirent pas leur identité et leur légitimité de l’Etat. L’Etat est postérieur au mariage et à la famille, comme il est postérieur à la personne humaine. Voilà pourquoi il n’appartient pas à l’Etat, me semble-t-il, de définir ce que doivent être le mariage et la famille. Au contraire, il est à leur service. Il peut, certes, donner des droits à des personnes désirant vivre ensemble.
Mais le pouvoir politique ne peut toucher à ces réalités fondamentales que sont le mariage et la famille sans abuser gravement de ses prérogatives. Il a en effet pour fonction d’assurer le vivre ensemble, pas de définir ou de redéfinir les catégories les plus élémentaires de la personne et de la société. Or par son projet de loi, le pouvoir politique se propose de changer en profondeur la définition du mariage. Il le réduit à un pacte privé entre deux personnes qui s’aiment sans s’interroger sur ce que ce changement va induire à la fois pour le renouvellement des générations dans l’ordre social et pour l’accueil de la différence sexuelle dans l’ordre symbolique. Certes il faut qu’il y ait de l’amour. Et cet amour est indispensable pour éduquer des enfants. Les personnes homosexuelles qui demandent le mariage sont capables d’un amour profond, généreux, sincère. Mais il faut aussi, pour fonder une famille et contribuer à la vie sociale, accepter de se confronter à la réalité, celle de la différence entre l’homme et la femme.
Affirmer que l’interdiction actuelle du mariage pour les personnes homosexuelles est une injustice qui leur est faite est une échappatoire. Le mariage concerne un homme et une femme. Dans toutes les civilisations et au cours de toute l’histoire. Jamais une culture n’a proposé un mariage entre deux personnes de même sexe. Les personnes homosexuelles ne sont donc pas concernées par le mariage. Elles font le choix de vivre autre chose. Mais si l’on change la définition du mariage en prétendant qu’il concerne deux personnes indépendamment de leur sexe, alors on en fait une injustice. Mais jusqu’où ira-t-on ? Certains réclament déjà un mariage à plusieurs. Sur quel critère va reposer la nouvelle définition du mariage ? Apparemment sur l’arbitraire du pouvoir politique. C’est cela qui est grave. L’Etat doit-il donner une reconnaissance institutionnelle à toutes les formes d’association, à toutes les formes de vie commune ?
Une autre dérive me semble dangereuse dans ce projet de loi : c’est l’idée que l’on semble se faire de l’adoption. L’adoption a été rendue possible pour venir en aide à des enfants privés de leurs parents. On leur donnait ainsi une famille pour qu’ils puissent y trouver une affection, une éducation, un confort bien supérieurs à ce qu’ils pourraient trouver dans un orphelinat, par exemple, ou en étant laissés à eux-mêmes dans la rue. Beaucoup de couples ont ainsi accueilli un ou plusieurs enfants en plus des leurs. Certes, des couples atteints par la stérilité ont trouvé là un moyen de fonder une famille, ce qu’ils n’auraient pas pu faire autrement. Disponibles, généreux, désireux d’éduquer des enfants, ils se sont ouverts à l’adoption pour faire face à une situation imprévue, inattendue.
Dans le projet de loi qui sera proposé, l’adoption ne sera plus d’abord un moyen d’aider des enfants mais une manière d’institutionnaliser un droit à l’enfant, ce qui est radicalement différent. Et contraire au respect de la personne qui n’est jamais un moyen pour satisfaire un désir, aussi fort soit-il. Par ailleurs, comment organisera-t-on alors la répartition des enfants en attente de famille ? Quels seront les enfants qui auront droit à des parents de sexe différents et quels seront ceux qui seront confiés à un couple homosexuel ? Quelle justice peut-on garantir à ces enfants adoptés ?
L’homosexualité ne définit pas une identité. L’homosexualité ne constitue pas une identité ; on ne définit pas quelqu’un par ses désirs sexuels. On est homme ou femme et la société ne peut fonctionner que dans la reconnaissance de cette altérité et dans l’acceptation par chacun de son être sexué. A travers la « théorie du genre », on enseigne aujourd’hui aux jeunes de nos collèges et de nos lycées qu’ils sont déterminés dès leur naissance par une orientation sexuelle ; il serait utile de leur dire que l’attrait souvent passager pour quelqu’un du même sexe à l’adolescence – attrait qui va parfois jusqu’à une expérience sexuelle – ne constitue pas une orientation sexuelle et encore moins une identité. Prétendre le contraire c’est les tromper et les désespérer. La tâche des parents et des éducateurs n’est pas d’enfermer les jeunes mais de les rendre à eux-mêmes en leur faisant découvrir leur vocation, une vocation à bâtir le monde présent avec leurs richesses, leurs talents, leurs compétences personnelles".

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