La résistance est catholique

un article de Jacques Trémolet de Villers

Quelques jours avant le 13 janvier Jacques Trémolet publiait dans "Présent" cet article plein d'espérance


La résistance est catholique


Frédéric Ozanam avait coutume d’enseigner à ses étudiants que l’important, dans les époques de décadence, c’était les germes de renaissance. Son travail d’historien des lettres et des civilisations consistait à aiguiser leur regard, à partir des événements passés, pour mieux distinguer dans le présent ce qui est porteur d’un avenir bienfaisant. Malheureusement, sa correspondance prouve que ce travail de discernement ne l’a pas mis, lui-même, à l’abri des illusions quarante-huitardes, qu’il regretta très vite, s’étant lui-même rapidement désabusé. Mais cet incident mineur ne doit pas cacher le bien-fondé de sa démarche essentielle. Au demeurant, cette méthode est celle de tout homme entreprenant. Elle est donc fondamentalement française puisque, malgré tout, nous demeurons un pays de la libre entreprise, et, surtout, elle est authentiquement capétienne, et elle correspond donc au génie français, dans ce qu’il a de meilleur.

Que nous dit, donc, aujourd’hui, notre époque de décadence ? Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour le voir et le dire : que les germes de renaissance sociale, culturelle, intellectuelle, et donc aussi économique se sont concentrés dans l’Eglise catholique. Je ne dis pas qu’il n’y a pas des chrétiens protestants, des juifs, des musulmans qui peuvent désirer sérieusement un ordre social humain, mais si on salue le Grand Rabbin, Gilles Bernheim, ou telle déclaration ou initiative du Pasteur Blanchard, ces faits demeurent singuliers. Ce n’est pas un corps, en tant que tel, et mieux que cela, un corps et une âme. Le problème de « faire route avec… les incroyants ou les personnes d’autres croyances » demeure, certes, pour la vie quotidienne et il mériterait une étude à lui tout seul… mais, dans ce qui bouge, anime, combat, propose, enseigne… ou c’est le rouleau compresseur d’une décadence multiforme, ou c’est la résistance… et la seule résistance est catholique.

Ce qui importe, c’est la ferveur


Voici qui est extrêmement intéressant puisque l’histoire nous a montré, à de nombreuses reprises, quel était le cheminement de ces renaissances catholiques, qui commencent comme des résistances à la décadence. D’abord, il semble qu’il faille un malheur, « une grande pitié », mais cela, c’est précisément le donné de la décadence qui est toujours un grand malheur… et qui devient féconde – ou possiblement féconde, à partir du moment où ce malheur devient sensible. Ici le corps social réagit comme le corps humain. Le mal insensible progresse insensiblement. Il ne devient soignable que lorsque la douleur l’a révélé. Malgré des efforts admirables et des avertissements prophétiques, de nombreux maux sociaux et législatifs sont passés, se sont installés, ont été institutionnalisés car ils n’apparaissaient pas immédiatement douloureux. Pourquoi les catholiques, si anesthésiés sur tant de sujets, se sont-ils réveillés à propos du mariage des homosexuels ? Hollande et ses équipes s’en doutaient-ils ? Nous-mêmes le pensions-nous ? Le mariage aujourd’hui, est tellement dévalué. Il devient pratiquement un phénomène minoritaire, même chez les catholiques. Alors ?

Alors, c’est que majorité ou minorité, peu importe dans cette analyse des germes de renaissance. Ce qui compte n’est pas le nombre, même s’il est important, quand on manifeste, d’être nombreux. Ce qui importe, c’est la ferveur.

Or, cela fait très longtemps que le mariage chrétien n’a pas connu, auprès des jeunes chrétiens, la ferveur qu’il connaît aujourd’hui. Le hasard des conférences et des lectures qui commandent leur préparation m’ont plongé récemment dans la littérature amoureuse et poétique de notre moyen-âge et de ce qu’on appelle notre renaissance. Si Roland et la belle Aude aux bras blancs évoquent un amour pur et si violent que l’annonce de la mort du preux chevalier provoqua celle de sa promise, l’amour humain semble s’y déployer sans prendre garde à l’institution matrimoniale. Volontiers il la bafoue. Sa force est révélée par sa transgression. Jehan de Paris allant arracher l’infante d’Espagne au vieux Roi d’Angleterre à qui ses parents l’avaient promise, est une exception… et le « moraliste » des Quinze joies du mariage nous en fait un tableau désolant. L’« amour courtois » nous fascine par la délicatesse des attentions et la purification des sentiments, mais le mariage en est quasiment absent… On met aux voix la question : « L’amour, est-il meilleur dans le mariage, ou hors du mariage ? » Charles d’Orléans, Louis Labé, Eustache Deschamp, François Villon, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay l’ignorent absolument, comme l’ignoraient Corneille et Racine. Molière, le premier, en fait le théâtre ordinaire de son théâtre. La comédie s’en souviendra, et ce ne sera pas toujours pour nous donner envie d’y jouer un rôle.

Dans l’Eglise elle-même, la sainteté des mariés est chose rare, même rarissime. Le mariage est l’état laïc, par nature, l’état ordinaire, ce qui ne prédispose pas à l’extraordinaire de la sainteté. Il y faut quelque chose d’autre. Etre roi… ou être martyr, ou être veuve, voire fondateur ou fondatrice de congrégation. Comme l’amour-passion du romantisme, la sainteté est hors mariage.

Et voici que les humbles parmi les humbles, ces obscurs, ces sans-grade, ces pères et mères de famille se portent au premier rang de la lutte publique… Voici que, dans le silence de leur foyer, ou dans le bruit de la rue, dans leur maison et leurs boutiques, dans leur atelier ou leurs champs, ils apparaissent, pour ce qu’ils sont, l’inépuisable et toujours renouvelée réserve féconde d’où sortent les héros, les talents, les saints, mais aussi les renégats, les voyous, les criminels, car eux aussi ont un papa et une maman. Péguy avait pressenti, au long de ses interminables méditations, la promotion aux premières lignes de l’affrontement historique, de ces dernières classes, de ces « hommes du rang », de ces femmes et de ces mères, qui sont le peuple de l’Eglise.

La mobilisation pour le mariage c’est la mobilisation du laïcat, en tant que tel… mais c’est aussi, objectivement, le laïcat catholique, car seul le mariage chrétien place l’homme et la femme en un état tel qu’il leur inspire l’audace nécessaire pour le défendre


C’est un grand événement que cette « heure du laïcat. » Bien avant Vatican II Jean Ousset en avait eu l’intuition. La mobilisation pour le mariage c’est la mobilisation du laïcat, en tant que tel… mais c’est aussi, objectivement, le laïcat catholique, car seul le mariage chrétien place l’homme et la femme en un état tel qu’il leur inspire l’audace nécessaire pour le défendre. Hollande, Ayrault, qui ont eu des parents, un papa, une maman, peuvent bien tenter d’aller jusqu’au bout de leur volonté de destruction par voie législative. Ils n’ont servi qu’à révéler, à nouveau, cette vérité trop enfouie, à nous rendre sensible cette réalité trop profonde pour que nous la voyions, que notre nature même de Français est une nature familiale, que notre ordre social est familial, que notre politique est familiale, que notre ordre national est familial. Rien n’est automatique, en politique. Rien n’est programmé. Mais il y a des constantes. Si les catholiques se mettent à aimer vraiment le mariage catholique, si les familles chrétiennes se mettent vraiment à vouloir être ce qu’elles sont, alors, très vite (très vite, à l’échelle de l’histoire) elles ne supporteront plus de ne pas être représentées socialement, d’être gouvernées politiquement par des hommes qui, pour arriver au pouvoir, auront au sens propre marché sur leur père et leur mère (...). Politiquement le 13 janvier, c’est un commencement.

JACQUES TREMOLET DE VILLERS, dans le n°7766 du 9 janvier du quotidien "Présent"