Un article de Jacques Trémolet de Villers : un printemps français

un article paru dans "Présent"

L’un des motifs de se réjouir de la situation présente, c’est la nécessaire éducation à l’action des laïcs catholiques. La théorie de cette éducation a été faite depuis longtemps. C’était l’obsession de mon maître et ami Jean Ousset, le fondateur de la Cité catholique. Deux ouvrages majeurs traitaient de cette difficile et nouvelle question : Pour une doctrine catholique de l’action politique et sociale et L’action. Mais une chose est d’enseigner, une autre de réaliser. Entre les deux, il faut le temps que germe le grain semé et pousse l’épi.
Assistons-nous à la venue du blé en herbe ?
L’action par réseaux, réseaux de famille et réseaux d’amitié, réseaux sociaux, le souci d’une multitude d’initiatives diverses, synchronisées mais non fédérées, encore moins coagulées, dans un même mouvement, respectueuses les unes des autres, unies sur l’essentiel du but à atteindre mais diverses, voire opposées sur d’autres points, alliant le souci du contact personnel, de la rencontre en petits groupes avec le besoin s’il le faut de l’action de masse, et, par-dessus tout, cherchant à coller le mieux possible au terrain tel qu’il est et non pas tel qu’on voudrait qu’il soit.
Avec un vrai souci d’efficacité, qui passe avant les agacements, les mises en avant, la volonté de « se faire plaisir »… ou de s’affirmer.
Si cette souplesse et cette rigueur, cette faculté de rebondir et d’y aller joyeusement avaient fini par nous venir ?
M’est avis que nous n’en sommes pas loin.
En tout cas, « l’imagination au pouvoir », l’autogestion de ses forces, la spontanéité éclairée de l’initiative sont des traits qui s’imposent depuis quelques mois et qui, je l’espère, vont s’accentuer dans les semaines qui viennent jusqu’au printemps.
Si on se faisait, en France, en 2013, un printemps français ?
Comme d’autres se sont fait un printemps arabe !
C’est ça qui serait vraiment déroutant, neuf… la vraie surprise, l’incroyable ?
Toutes les conditions sont réunies : il y a les troupes, qui sont à la fois jeunes et expérimentées. Il y a le nombre, nous l’avons vu et nous le reverrons. Il y a l’intelligence, et, dans cette intelligence celle qui domine les autres facultés : le coup d’œil et le sens du terrain.
Cette guerre est médiatique.
Les grands médias nous sont, en majorité, hostiles.
Mais les grands médias, plus encore que les autres, sont à la remorque de l’événement. Qui sait créer, intelligemment, l’événement, en surprenant et en se rendant sympathique, occupe, bon gré, mal gré, les médias. La journée des banderoles sur les boulevards périphériques parisiens l’a bien prouvé. Amitié des automobilistes. Surprise amusée et bientôt complice. Alerte des infos, et du coup passage en boucle, qui, en une journée, relance la présence et donc le moral des troupes.
A ce rythme, il importe, bien sûr, de l’emporter et de peser suffisamment sur les pouvoirs publics pour que ce projet soit retiré. Mais le bénéfice est déjà immense de la lutte elle-même, de l’exercice mené, de l’organisation d’une présence politique, sociale du laïcat catholique… alliée à d’autres bien sûr, sinon ce serait la négation même de l’efficacité, mais sachant être moteur, serviteur, et serviteur utile.
Si cette trajectoire se confirme, alors elle ne s’arrêtera pas en chemin. C’est dans ces actions que se révéleront les hommes d’action, et les vraies élites, non celles qui sont ainsi auto-décrétées, ou qui se cooptent parce qu’elles sortent des mêmes écoles et fréquentent les mêmes clubs, ou les mêmes partis (les mêmes loges), mais celles qui ont entraîné les autres et que leurs compagnons ont reconnues comme telles.
Je ne voudrais pas me livrer à ce que Péguy appelait « un enthousiasme qui ne serait pas ceinturé » mais la perspective de voir se dessiner un cursus honorum pour ceux qui ont l’angor patriae (que de latin ! un chemin des honneurs ou des charges pour ceux qui ont l’angoisse de la patrie), autre que les échelons gravis dans un parti pour obtenir l’investiture dans une circonscription, la sortie possible des routines pseudo-démocratiques qui nous ont valu les Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande… et les cliques qui les suivent, font l’effet d’un grand courant d’air frais.
A l’aune de cet espoir, on en viendrait à souhaiter que le pouvoir fasse encore durer, ne serait-ce que pour parfaire l’enchaînement des temps… mais, rassurons-nous le pain ne manquera pas sur la planche. Après le mariage, la famille, et là, il y a du travail pour au moins deux quinquennats.
A côté de cet événement, car c’en est un, majeur de la vie politique française, il y a le panache de notre armée. Certains murmurent : mais c’est un faux combat, Tombouctou n’est pas tombée après des affrontements acharnés… Tombouctou s’est ouverte, toute seule, à l’armée française… Si cela est vrai, nous voici ramenés au meilleur de notre présence militaire en Afrique. Dans les carnets de mon grand-père, officier de tirailleur au Maroc, puis en Afrique noire, avant d’aller mourir glorieusement après les derniers combats en Serbie, il y a le récit de l’entrée de l’armée française à Fez, il y a tout juste un siècle, cette année. Pas un coup de feu… des cris de joie, un accueil enthousiaste (d’un enthousiasme absolument pas ceinturé !) et le fait se reproduit si souvent que mon grand-père s’écria (pour lui-même) : « Quand verrai-je le feu ? » Il le verra, plus tard, dans le sud marocain, mais généralement la seule annonce de l’arrivée de nos armes calme la rébellion, fait cesser les razzias, met en fuite les coupeurs de route (déjà, et comme encore maintenant, en Côte-d’Ivoire,) et en joie les populations qui aspiraient à la paix.
« Il n’est pas dans l’intention de la France de rester », dit M. Hollande, dans une précaution oratoire compréhensible, mais il est dans le vœu des populations qu’une forme de présence forte et pacifiante soit trouvée. Si cet exutoire glorieux tente nos socialistes d’aujourd’hui comme il tenta leurs ancêtres – Jules Ferry à qui M. Hollande a rendu hommage le jour même de son investiture – qu’ils ne se gênent pas ! L’aventure militaire et africaine pour notre jeunesse, c’est autre chose que la revendication de la reconnaissance sociale des rapports homosexuels. Il suffit d’entendre, à la tribune de l’Assemblée nationale, le député communiste Bruno Nestor Azérot parler d’une « cassure morale irréversible », de « la rupture du pacte Républicain », « allons-nous vers une société où l’individualisme hédoniste fera disparaître nos valeurs personnalistes et socialistes ».
Présent de la Chandeleur a cité intégralement cette remarquable intervention qu’on peut aussi voir et entendre sur nos petits écrans de travail.
N’y a-t-il pas, aussi, encore, et peut-être surtout, une promesse de rajeunissement politique dans un certain éclatement des clivages « gauche-droite » !
Restons attentifs aux signes de l’instant. Nous n’en sommes qu’au printemps du printemps. Il est bien intéressant.

JACQUES TREMOLET DE VILLERS

"Présent" - n° 7786 du 6 février 2013