L’encyclique "Lumen Fidei" sous l’angle du bien commun

Un article de Rémi Fontaine dans "Présent" du 9 juillet 2013

« Les mains de la foi s’élèvent vers le ciel mais en même temps, dans la charité, elles édifient une cité, sur la base de rapports dont l’amour de Dieu est le fondement. »

A l’heure mondialiste du « mariage » gay et de l’idéologie du gender introduits par une méchante philosophie nominaliste, l’encyclique Lumen fidei (publiée vendredi et écrite «à quatre mains» par le Pape François et son prédécesseur Benoît XVI) vient notamment nous rappeler les liens fondamentaux entre la foi et la raison d’une part et la foi et la cité politique d’autre part. Nous vivons une terrible crise de la vérité qui rend nécessaire le rappel de ces liens déjà abordés dans Fides et ratio et Veritatis splendor de Jean-Paul II.

Loin de pouvoir se passer aujourd’hui de la foi, la raison et la politique en ont vitalement besoin pour se retrouver elles-mêmes et ensemble comme humus de l’accomplissement social et religieux de l’homme. Entre Dieu et la nature, il y a l’humain, dont l’étymologie latine est justement humus : terre mais aussi « humilité » ! La loi naturelle que résume le Décalogue constitue en quelque sorte la substance de cet humus : elle est déjà l’« impression en nous de la lumière divine » (saint Thomas d’Aquin) comme lumière de l’intelligence mise en nous par Dieu, par laquelle nous connaissons ce qu’il faut faire (le bien) et ce qu’il faut éviter (le mal) pour nous accomplir moralement et politiquement. Elle est l’ « expression humaine de la Loi éternelle de Dieu », disait Jean-Paul II.

« Le Décalogue n’est pas un ensemble de préceptes négatifs, mais des indications concrètes afin de sortir du désert du “moi” autoréférentiel, renfermé sur lui-même, et d’entrer en dialogue avec Dieu, en se laissant embrasser par sa miséricorde et pouvoir en témoigner », rappelle l’encyclique. C’est bien Benoît XVI, rappelle Yves Daoudal, qui affirmait le 7 janvier dernier aux diplomates, que « la personne qui devient autoréférentielle n’est plus ouverte à la rencontre avec Dieu et avec les autres et se replie sur elle-même »… Et c’est tout le problème de la philosophie moderne, devenue « homosexuelle de fond en comble », selon le mot de Marcel De Corte, c’est-à-dire fermé à l’altérité du réel, comme en témoigne monstrueusement le « mariage » gay.

La philosophie, dira-t-on, n’est pas nécessaire au salut. Mais il importe pour la foi de ne pas en subir une qui soit erronée, au risque de s’avarier comme les aliments et les valeurs modernes dont parlait récemment le pape François. Sans la vérité la foi ne sauve pas ! Elle demeure une « fable » projetant notre désir de bonheur. Comme l’humus naturel de la raison attend le germe surnaturel de la foi pour être purifié, la foi (selon la parabole évangélique) a besoin d’un terrain raisonnable bien préparé, ouvert à l’Autre en tant qu’Amour, pour s’épanouir : « Le premier environnement dans lequel la foi éclaire la cité des hommes est donc la famille. Je pense surtout à l’union stable de l’homme et de la femme dans le mariage. Celle-ci naît de leur amour, signe et présence de l’amour de Dieu, de la reconnaissance et de l’acceptation de ce bien qu’est la différence sexuelle par laquelle les conjoints peuvent s’unir en une seule chair (cf. Gn 2, 24) et sont capables d’engendrer une nouvelle vie, manifestation de la bonté du Créateur, de sa sagesse et de son dessein d’amour (LF § 52). »

Fides et ratio l’observait déjà en son paragraphe 48 : « La raison, privée de l’apport de la Révélation, a pris des sentiers latéraux qui risquent de lui faire perdre de vues son but final. La foi privée de la raison, a mis l’accent sur le sentiment et l’expérience, en courant le risque de ne plus être une proposition universelle. » Non, la loi surnaturelle n’est pas moins universelle : elle n’est pas inférieure et comme subordonnée à la loi naturelle ou – pire encore ! – à la loi démocratique, à la manière d’une option ou d’une opinion particulière, facultative, ainsi qu’on pourrait le penser à la lecture de certains documents épiscopaux d’expression néomoderniste (cf. Présent du 3 juillet). Une des erreurs condamnées dans le Sillon n’a-t-elle pas été une conception de la fraternité humaine placée au-dessus de la fraternité chrétienne catholique ? La foi est un bien (commun) de tous pour tous, qui ne sert pas seulement à préparer le Royaume dans l’au-delà mais à édifier la société terrestre en marche vers l’espérance, précise Lumen fidei. La foi, ajoute l’encyclique, n’est pas le refuge de personnes timorées mais une « dilatation de la vie ». Ainsi dans les rapports sociaux la foi permet-elle aux enfants de Dieu de donner une signification nouvelle à une fraternité universelle qui n’est pas une simple égalité mais l’expérience de la paternité de Dieu et la perception de la dignité de toute personne.

Le quatrième chapitre explique ainsi le lien qu’il y a entre foi et bien général, qui tend à la constitution d’un meilleur espace de vie de l’homme et des autres espèces : « La foi renforce la solidarité entre les êtres humains et les met au service de la justice, du droit et de la paix. Elle n’éloigne pas du monde et des nécessités de l’homme, d’autant que sans l’amour fidèle de Dieu l’unité de l’humanité ne se fonderait que sur l’utilité, l’intérêt ou la peur. A l’inverse la foi, qui tend à l’harmonie des rapports humains et à leur finalité en Dieu, nous met tous au service du bien général », résume le service de presse du Saint-Siège. Ajoutant : « Lorsque la foi fait défaut les fondements mêmes de la vie communautaires sont à risque. Si la foi en Dieu est écartée de la société nous perdrons notre confiance en nous, et si l’on est pas unis dans la confiance on le sera dans la peur. D’où l’impérative nécessité de confesser publiquement Dieu pour éclairer la vie de la famille humaine. »

On est bien loin, en conclusion, de la pastorale de l’enfouissement intra-mondain, a-confessionnel ou du consensualisme fraternitaire et démocratique de l’après-Concile, comme dit un commentaire du Forum catholique. « Ite missa est : la messe de requiem de l’enfouissement est-elle dite ? » demandait Guillaume de Prémare dans sa chronique hebdomadaire de Radio Espérance du 27 juin après de récents discours pontificaux. Et d’expliquer : « Car voilà, le levain ne peut plus être enfoui discrètement et sagement dans la pâte quand celle-ci est avariée par le poison des fausses valeurs mondaines, celui des nouvelles mœurs ou de “la dictature de l’argent”, qui vont ensemble. » C’est bien ce que semblent avoir compris les jeunes veilleurs chrétiens d’aujourd’hui à l’école des JMJ : pour que le sel ne s’affadisse pas, il faut aujourd’hui à la profession publique de la foi une autre vigueur et d’autres terrains que le relativisme et l’individualisme de notre dissociété démocratique. A un organisme malade, il faut des anticorps, à la fois en opposition (en dissidence) par rapport aux toxines qui le rongent mais indéfectiblement solidaires de son bien commun temporel et spirituel : « C’est un grand mystère qu’il ne suffise pas d’être catholique, et qu’il faille de plus peiner toute sa vie dans le temporel. Mais Jésus lui-même qui était le prince du spirituel a fondé une Eglise qui n’a point cessé d’être combattue dans le spirituel et dans le temporel, et qui ne cessera point de militer dans le spirituel et dans le temporel », résumait aussi Péguy.

REMI FONTAINE

"Présent" n° 7890 du 9 juillet 2013