De l’état neutre à l’école neutre, ou de Mgr. Pontier à Vincent Peillon

Un article de Rémi Fontaine

De l’état neutre à l’école neutre, ou de Mgr. Pontier à Vincent Peillon

2013.11.13_Mgr-Pontier-3.jpgParmi d’autres prises de position « irréfléchies » – comme dit Riposte catholique visant notamment son européisme –, le nouveau président de la Conférence des évêques de France a cru bon de justifier ainsi à Lourdes la (molle) défense ecclésiale de la vie de et la famille :
« Ce n’est pas contrevenir à la séparation des Eglises et de l’Etat qui préside de manière nécessaire à la vie ordinaire d’une société pluraliste. C’est bien l’Etat qui dans son fonctionnement se doit d’observer une neutralité bienveillante. L’Etat est laïc. Mais la société, elle, est composée de personnes et de groupes aux convictions diverses qui doivent apprendre à dialoguer, à se respecter, à ne jamais aller au-delà de ce qui pourrait troubler la vie publique ou exprimer une volonté d’hégémonie. L’Etat se doit de permettre ce vivre ensemble dans le respect de tous. »
Mgr Georges Pontier reprend ainsi le sophisme du cardinal Ricard décrypté dans "Les enjeux du printemps français" (éditions de Paris, p. 102). S’alarmant contre le glissement d’une laïcité de l’Etat à une laïcité de la société, l’archevêque de Bordeaux prétendait également : « C’est l’Etat qui est laïc, ce n’est pas la société. Celle-ci est plurielle. »
La (saine et légitime) laïcité de l’Etat existe assurément (voir Pie XII) mais ce n’est pas celle que nous vantent aujourd’hui ces prélats. Fut-elle plurielle, la société n’a pas à être régie par un Etat neutre dans le respect indifférencié de tous mais par un Etat juste dans le respect de la vérité, qui rende à chacun et à chaque famille spirituelle ce qui lui est dû mais surtout à Dieu ce qui est à Dieu. Sinon, il ne faut pas s’étonner de ce mauvais glissement du laïcisme d’Etat au laïcisme de la société, à commencer dans l’école de la République.
Ne revendique-t-on pas aujourd’hui pour cette école (y compris pour les établissements catholiques sous contrat) ce que l’archevêque de Marseille demande à l’Etat : – C’est bien l’école qui dans son fonctionnement se doit d’observer une neutralité soi-disant bienveillante. L’école est laïque. Mais sa (micro-)société, elle, est composée de personnes et de groupes aux convictions diverses qui doivent apprendre à dialoguer, etc.
Cherchez l’intrus !
2013.11.13_les-enjeux-du-printemps-francais.jpgCe que dit Mgr Pontier de l’Etat, c’est exactement ce que dit Peillon de l’école. On voit le résultat : cherchez l’intrus ! Nos évêques feraient mieux de s’insurger contre cet autre glissement : de la saine et légitime laïcité de l’Etat selon Pie XII à la malsaine et illégitime laïcité de l’Eglise selon le mauvais esprit (mondain) de Vatican II. La sécularisation comme le multicommunautarisme de la société actuelle sont liés intrinsèquement à cette laïcisation de l’Etat neutre : « neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’Eglise à lui obéir sur ce point capital », disait Renan. Le vrai problème c’est le consentement de l’Eglise à ce dogme de L’Etat neutre soi-disant incompétent en matière religieuse !
Ce mensonge ou cette chimère (comme disait Viviani lui-même de la neutralité de l’école) dissimule en réalité une inversion architectonique par laquelle le pouvoir temporel commande désormais au pouvoir spirituel et l’absorbe même totalitairement dans une dictature politique du relativisme et de la non-discrimination : une pensée religieuse unique qui est une forme de théocratie inversée, persécutrice de la vraie religion. Quand toutes les opinions (religieuses) se valent, la vérité ne tarde pas à ne plus valoir en respectabilité, à être mise en minorité avant même d’être interdite !
A propos d’un dossier connexe réalisé dans le dernier numéro de "La Nef" (« Discrimination antichrétienne en Europe ? ») Grégor Puppinck répond indirectement mais remarquablement à ces évêques soumis religieusement à l’Etat neutre (jusque dans leurs propres écoles !) et qui s’étonnent d’être incompris, si peu écoutés dans cette (dis)société, mendiant servilement leur part de non-discrimination :
« De fait, le concept de non-discrimination est une impasse, car il est fondé sur une égalité abstraite : le vrai problème n’est pas d’abord dans une volonté réelle ou supposée de discriminer les chrétiens, mais dans le fait que la loi s’éloigne de la justice et qu’elle envahit tous les domaines de l’existence… Il ne faut pas chercher à entrer dans le concert des minorités opprimées. Demander à être toléré, c’est renoncer à être compris et donc à témoigner. Islamophobie, homophobie, christianophobie, même combat ? Certainement pas. L’injustice particulière que certains chrétiens subissent est la conséquence d’une injustice plus grande tenant à la définition même de l’homme. Il faut garder à l’esprit que le devoir des chrétiens n’est pas de se faire une existence à l’abri des ennuis, mais de témoigner pour tous. Le combat porte aujourd’hui sur la détermination de la source de la morale, dont le monde essaie de déposséder l’Église et les consciences. »

Rémi Fontaine

paru dans "Présent" daté de jeudi 14 novembre 2013