S’approprier l’homme, un thème obsessionnel de la Révolution

à propos du nouveau livre du professeur Xavier Martin

Une obsession de la Révolution

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Xavier Martin poursuit ses études sur la Révolution, avec de larges échappées en amont et en aval, car la Révolution n’a pas commencé (idéologiquement) en 1789 et s’est poursuivie (idéologiquement) après 1799. Elle s’est installée durablement, notamment par le biais du Code Napoléon, objet de plusieurs travaux de Xavier Martin. On peut même dire que les lois sur la contraception (1969), sur la majorité à 18 ans, si désastreuse (1974), sur l’avortement (1975) et le mariage homosexuel (2013) sont dans la suite directe, logique si l’on veut, de l’anthropologie révolutionnaire. En attendant l’euthanasie et la GPA.

Car c’est bien d’anthropologie ou de vision de l’homme dont il s’agit. Et c’est précisément sur cela que portent les travaux de Xavier Martin, si novateurs parce qu’il a la patience de scruter les textes mêmes des philosophes, députés, orateurs ou auteurs.

Le fondement de la Révolution fut une prétention non seulement d’établir des institutions nouvelles – l’idéologie de la « table rase » que l’irlandais Edmund Burke reprochera avec tant d’éloquence aux révolutionnaires français –, mais aussi de faire un homme nouveau. Il s’agissait de « régénérer l’espèce humaine » (titre d’un autre livre de Xavier Martin, en 2008). Cette ambition passait par une volonté affirmée de « s’approprier l’homme ». L’expression, qui donne son titre au dernier livre de Xavier Martin, n’est pas exagérée. Elle est employée par Rousseau lui-même dès 1758 dans son livre sur l’éducation, Emile : « Sitôt qu’il l’enfant naît, emparez-vous de lui et ne le quittez plus qu’il ne soit homme. » On la retrouve chez l’abbé Grégoire dans son Essai de 1788 : « Il faut que l’éducation publique s’empare de la génération qui naît. »

Ces citations anticipent la fameuse formule de Mussolini (que Xavier Martin connaît sans doute) : « Je prends l’homme au berceau et je ne le rends au pape qu’après sa mort. » Pie XI dénoncera ce « totalitarisme » (le mot est de lui) et lui opposera un légitime « totalitarisme catholique ».

Toutes les analyses et démonstrations de Xavier Martin se déploient à partir d’un épisode qui pourrait sembler anecdotique : un « vieillard de cent vingt ans », venu du Mont-Jura, est amené à l’Assemblée Constituante le 23 octobre 1789.

De cet épisode, Xavier Martin tire tous les fils non pour le déconstruire mais tout au contraire pour montrer toutes les intentions des uns et des autres. Il y a chez les philosophes des Lumières puis chez leurs héritiers de la Révolution, ce que Xavier Martin appelle une « pédagomanie ». Avec la volonté de tenir à distance les parents. « Oui, écrit X. Martin en résumant les affirmations des révolutionnaires, l’éducation est une chose trop sérieuse, elle est trop divine pour qu’on la laisse aux père et mère de la nature, quel que soit d’ailleurs leur niveau social. »

L’approche mécaniciste de l’éducation chez les révolutionnaires privilégie la méthode (comme la pédagogie contemporaine), a un dessein d’emprise totale sur l’enfant (et sur l’homme en général), pour son bien, pour l’« améliorer ». Le conventionnel Thibaudeau énonce une volonté totalitaire et étatiste sur les enfants : « J’ai toujours pensé que les enfants étaient une propriété de l’Etat, et que les parents n’en étaient que les dépositaires ; que c’était à l’Etat de recevoir, pour ainsi dire, l’enfant du sein de sa mère ; qu’il devait s’en emparer comme de son bien le plus précieux ; qu’il fallait que l’enfant, en ouvrant les yeux, ne vît que la patrie, et que jusqu’à la mort il ne vît plus qu’elle. »

Cette emprise doit durer, dans l’idéal, tout au long de la vie. Xavier Martin a bien raison de résumer ainsi l’ambition révolutionnaire : « Tout est bon, comme on le sait, pour assurer l’emprise constante et décisive sur les psychismes : l’instruction publique, les fêtes nationales, le calendrier, le théâtre, etc. »

On pourrait ajouter pour aujourd’hui : la télévision, le cinéma, la chanson, la publicité. Il n’y a pas d’intention délibérée ? C’est à voir. La propagande homosexuelle – par les médias cités – a précédé le « mariage pour tous » et continuera, par ses moyens propres, à être une auxiliaire efficace de la loi.

Xavier Martin, "S’approprier l’homme. Un thème obsessionnel de la Révolution (1760-1800)"
Dominique Martin Morin (BP 263, 86000 Poitiers), 110 pages.


YVES CHIRON
"Présent" n°7996 du samedi 7 décembre 2014