Questions de « pastorale » en temps de carême

Un article de Rémi Fontaine dans "Présent"

Le ressort de la vie chrétienne est de faire d’abord les choses par amour et non seulement par devoir, comme le prône une certaine morale kantienne (néopharisienne) rompant avec la cause finale. C’est sans doute à cette pastorale de la charité d’abord que nous invite le pape François lorsqu’il nous répète de cibler davantage cette priorité caritative qu’un moralisme nécessaire mais qui lui est relatif. Il n’est pas sûr, cependant, que le Saint-Père soit toujours bien compris.

« Aime, et fais ce que tu veux », résume saint Augustin. Mais attention, l’amour n’exclut pas forcément la correction (« Qui aime bien châtie bien ! ») ni la sainte colère, ni la condamnation, etc. L’auteur des Confessions ajoute au reste : « Si tu gardes le silence, que ce soit par amour ; si tu élèves la voix, parle par amour ; si tu corriges, corrige par amour ; que l’amour soit à la racine de tout, puisque de cette racine, il ne peut surgir que du bon. »

Il y a un temps pour tout. Et chaque temps n’est pas exclusif de l’autre. A dire qu’il n’est pas nécessaire de parler en permanence des questions morales, le pape ne prône ni une doctrine ni même une pastorale différentes de celles de ses prédécesseurs, estimant qu’il ne faudrait plus, ou moins, évoquer les normes et les interdits. Paix liturgique a récemment montré que François, en « fils de l’Eglise », ne s’en était guère privé ces derniers mois en matière d’avortement et d’euthanasie.

Si la charité doit être à la racine et donc le principe de toute pastorale, c’est une charité dans la vérité qui, dans sa pratique, doit éviter trois écueils où se frotte trop souvent le mauvais « esprit » du Concile. Considérons ces trois écueils, à l’aide de citations de Jean Madiran :

1. « L’ESPRIT HUMAIN est ainsi fait qu’il assimile mal une idée vraie si l’on n’en précise pas les contours par une condamnation qui anathématise ce qui lui est contraire. » La vérité dans la charité ne peut se passer de ces « anathèmes » dont le rôle est indispensable à la vie intellectuelle, à la vie sociale et à la vie religieuse. Le Christ lui-même en a fait usage : « Malheur à ceux par qui le scandale arrive… »

2. « LE DISCOURS DOMINANT dans l’Eglise de France semble avoir un peu (ou beaucoup) perdu de vue que dans le monde sans Dieu, on ne se heurte pas seulement à des erreurs (de l’intelligence), il y a aussi des refus (de la volonté), il y a des méchancetés, il y a des mensonges puissamment dominateurs, on y rencontre “Satanam aliosque spiritus malignos quid ad perditionem animarum per vagandur in mundo…” » Prétendre se défendre seulement contre les mauvaises idées sans tenir compte de ceux qui les colportent, les diffusent et les appliquent, avec une volonté qui, en outre, est souvent loin d’être innocente, serait inconscience, affirmait Jean Ousset. « Les erreurs, ajoutait-il, sont semblables aux flèches qui ne feraient aucun mal à personne si quelqu’un ne les lançait avec un arc. » Il est impossible de séparer les deux. Autrement dit, le précepte évangélique d’aimer ses ennemis ne signifie pas le renoncement à les désigner et à les combattre comme tels (par une légitime défense), en haïssant les traits empoisonnés qu’ils projettent. Ne pas confondre le pécheur et son péché public n’empêche pas de se défier toujours du péché et souvent du pécheur, même s’il convient de désirer ardemment sa conversion par les diverses voies que nous inspire une charité éclairée.

3. MADIRAN nous enseigne le troisième écueil avec Péguy : « L’avenir vous apprendra qu’il ne suffit malheureusement pas d’être catholique. Il faut encore travailler dans le temporel, si on veut arracher l’avenir aux tyrannies temporelles. » Autrement dit : « Il ne suffit pas d’avoir la foi. Nous sommes faits pour vivre notre temporel en chrétienté. Ailleurs quand ce n’est pas le martyre physique, ce sont les âmes qui n’arrivent plus à respirer. » A quoi bon une pastorale qui ne s’intéresserait pas à la politique ou, pire encore, qui se contenterait d’une mauvaise politique ? « De la forme donnée à la société dépend et découle le bien ou le mal des âmes », disait Pie XII. Si celui qui prétend aimer Dieu sans aimer son prochain est un menteur, celui qui prétend aimer son prochain en dédaignant ce qui fait la bonne politique nous trompe.

Puisque le pape François nous a invité à le faire dans sa Lettre aux familles en vue des Synodes de 2014 et 2015 sur la famille, prions donc, selon ses termes, pour que « l’Eglise accomplisse un véritable chemin de discernement et qu’elle prenne les moyens pastoraux adaptés pour aider les familles à affronter les défis actuels avec la lumière et la force qui viennent de l’Evangile ».

Rémi Fontaine

Extrait de "Présent" n°8067