En égrenant le chapelet

Prenant le chapelet qui s’use sous mes doigts,

Ce soir, j’ai récité l’Ave dix fois, vingt fois.

Ayant péché, j’étais d’une tristesse amère.

Mais, simplement, ainsi qu’un fils devant sa mère,

Mains jointes, à genoux, les yeux mouillés de pleurs,

J’ai répété : « Priez pour nous, pauvres pécheurs ! »

Et dans mon coeur je sens la paix renaître.

Je crois, j’espère en Dieu,

Je sais qu’il est un maître

Miséricordieux, bon, clément, paternel.

Pourtant il est aussi, sur son trône éternel,

Mon juge, et quand je songe à ma vie, il me semble

Que je suis bien souillé, bien coupable, et je tremble.

Oui, mais la Bonne Vierge est là, qui me défend.

Souvenez-vous. Jadis, quand vous étiez enfant

Et, pour vous châtier de quelque grave faute,

Quand le père irrité se levait, la main haute,

Votre mère arrêtait le bras prêt à frapper.

Or, dans le saint récit qui ne peut nous tromper,

Jésus-Christ sur la croix, montrant Jean à Marie,

Lui dit : « Voilà ton fils ! » C’est pourquoi je la prie,

À l’heure de la mort, d’implorer mon pardon.

Car, quand Jésus lui fit ce mystérieux don,

Il lui léguait ainsi l’humanité chrétienne

Tout entière, et ta mère, ô Seigneur, est la mienne.

Ma mère, intercédez donc pour moi, s’il vous plaît.

Dans le creux de ma main, je vois mon chapelet,

Et, pour moi, ses grains noirs sont comme une semence

Qu’avec un grand espoir je jette au ciel immense.

Chaque Ave va bientôt, miracle merveilleux !

S’épanouir aux pieds de la Reine des Cieux

Et, suave parfum, ma prière fleurie

Montera doucement vers la Vierge Marie.

François Coppée, 1842-1908