3ème méditation sur la primauté du bien commun : au service du bien commun

Chers amis pèlerins ! « Bien commun »... Cette expression nous est sans doute familière, comme élément essentiel de Doctrine sociale de l’Église. Mais sommes-nous bien sûrs d’en comprendre la signification ? Que savons-nous du bien ? Mon bien est-il semblable ou opposé à celui de mon voisin ? La diversité de nos biens individuels peut-elle fusionner dans un bien commun ? Est-ce souhaitable ? Comment y parvenir ?

Après maintenant une journée et demie de marche, une nuit passée sous la tente dans un confort rudimentaire, certains d’entre nous sont fatigués, d’autres se demandent ce qu’ils sont vraiment venus faire dans cette aventure, certains voudraient accélérer, d’autres voudraient ralentir. D’autres voudraient tout simplement que cela s’arrête… Diversité des situations, diversité des désirs de chacun…

Et pourtant nous marchons ! Nous ne marchons pas seuls, mais en chapitres. Nous ne marchons pas au hasard, mais selon un itinéraire préparé de longue date. Nous sommes entourés d’une multitude de personnes et d’équipes qui veillent sur tous et chacun, au plan matériel comme au plan spirituel. Malgré les inévitables tensions de toute vie en groupe, nous sommes en paix et plutôt joyeux.

L’expérience de ce pèlerinage ne donne-t-elle pas une image concrète du bien commun ?

Qu’est-ce que le bien commun ?

Voici comment l’Église définit le bien commun : « L’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée. » (Gaudium et Spes n°26, § 1)

Le bien se distingue des biens, matériels comme immatériels. Le bien est nécessaire à l’atteinte d’une perfection, individuelle comme collective. Il n’est pas d’abord le résultat, mais les conditions d’obtention de ce résultat. Pour un paysan, ce serait le terreau, la lumière, l’eau, les soins réguliers, tout ce qui est nécessaire à la fécondité d’un arbre fruitier ! Ce par quoi cet arbre accomplit pleinement sa raison d’être.

Cette définition proposée donne un sens à l’action politique, c’est-à-dire l’action de tout responsable de communauté humaine, famille, association, entreprise, communautés locales et nationales.

Par ailleurs, le bien commun est orienté vers le progrès des personnes. Quel est le but ? C’est la perfection, une plénitude de l’être. Elle se mesure par rapport à sa nature propre et sa finalité. Par exemple, la perfection d’une citrouille est d’être une belle citrouille… pas un carrosse ! Le bien commun prend tout son sens en référence à notre condition commune. Nous sommes créés par Dieu, « seule créature voulue pour elle-même », créés à son image et à sa ressemblance (c’est l’enseignement d’hier). Nous le savons, tout vient de Dieu et tout est destiné à revenir vers Dieu qui est la source de tout bien et le bien ultime.

Enfin,  notre existence se déroule en société, si bien que nous avons besoin les uns des autres pour accomplir notre finalité propre. Observons que nous ne sommes pas nés dans un monde vide. La famille, le groupe, la société, nous précèdent. Ils nous font bénéficier d’un héritage sans lequel nous ne pourrions-nous développer. C’est pourquoi l’Église souligne la préexistence et la prééminence des groupes, considérés comme matrices du progrès des personnes. C’est le principe de totalité, qui pose la primauté du bien commun sur le bien particulier.

Cependant, si chaque communauté se définit par son but et obéit en conséquence à des règles spécifiques, « la personne humaine est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions sociales » (Gaudium et Spes n°25, § 1). Dans ce sens, le bien commun est le bien de la communauté qui permet à chacun de ses membres de se développer sans être instrumentalisé. Ce bien trouve donc son achèvement et sa plénitude dans la réciprocité et le don de soi nécessaire à toute vie commune.

Bien commun et bien de la personne sont-ils contradictoires ?

Non ! C’est clair dans la conception chrétienne que nous venons de résumer : bien commun et bien de la personne ne sont pas contradictoires. Bien au contraire ! Dans une société de personnes liées organiquement par un principe d’unité transcendant, bien commun et bien des personnes se fécondent mutuellement.

La clé de voûte de l’équilibre vivant d’une société tient à la solidité de son principe d’unité. Lorsque ce dernier disparaît, le discernement du vrai bien en fait autant. La lumière de l’intelligence mise en nous par Dieu pour nous permettre d’aimer Sa loi naturelle est obscurcie. La notion de bien devient inopérante et est remplacée par celle de l’intérêt. Les désirs individuels deviennent sources de loi. Par exemple, les philosophes dits « des lumières » ont substitué au bien commun les abstractions de la volonté générale, ou de l’intérêt général. Le souci de tous et de chacun s’efface devant la loi démocratique du nombre qui détermine désormais ce qui est juste.

Concrètement, imaginez ce que deviendrait le pèlerinage si ses organisateurs travaillaient uniquement par votes, sondage d’opinion, avis (et changement d’avis) de la majorité... C’est sans doute déjà difficile... Là, ce serait impossible !

La hiérarchie des biens jusqu’à Dieu Destination universelle des biens et communication mutuelle des biens

Parce que nous avons tous comme finalité le bonheur éternel, nous avons tous le devoir de prendre les moyens qui nous y conduiront. Les biens temporels et spirituels nous sont donnés par Dieu à cette fin, et nous devons nous en servir autant qu’ils nous conduisent vers Lui et les rejeter s’ils nous en détournent.

Les biens temporels sont toutes les choses matérielles qui nous entourent et dont nous avons besoin pour assurer notre subsistance biologique. Ces choses peuvent être des dons de la nature (l’air, l’eau...) comme le produit du travail des hommes (le pain, l’habitat, la crème contre les ampoules aux pieds...)

Les biens spirituels sont toutes les richesses de la culture : la langue, les coutumes, les lois, les sciences, les arts, la religion… Les biens temporels ont le plus souvent comme caractéristique le fait de s’user, de se transformer, voire de disparaître lorsqu’ils sont consommés. Leur distribution les divise. Raison pour laquelle notre responsabilité d’intendant est engagée quant à l’usage que nous faisons des biens de la Création.

Au contraire, les biens spirituels se multiplient en se communiquant largement. Il suffit de penser à l’exemple du gâteau et de la recette pour s’en convaincre : le gâteau se divise en se partageant, parce que c’est un bien matériel. La recette se multiplie en se partageant, parce que c’est un bien immatériel. Le bien immatériel enrichit celui qui le reçoit sans appauvrir celui qui le donne.

La propriété des biens est légitime, car pour être un bon intendant il faut agir en propriétaire, c’est-à-dire en responsable. Mais le droit à la propriété n’est pas concevable sans devoirs à l’égard du bien commun. Il est subordonné au principe supérieur de la destination universelle des biens, selon lequel Dieu a créé les biens pour tous les hommes. « Mais Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier, il a abandonné la délimitation

des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples. » (Rerum Novarum). Les biens devraient donc être à la disposition de tous les hommes selon les principes de justice et de charité.

Conclusion

Quelle contribution personnelle pouvons-nous apporter au bien commun ? Là où nous sommes, dans nos familles, nos associations, nos entreprises, que pouvons-nous faire pour contribuer au bien de tous et de chacun ? Que pouvons-nous faire pour servir le bien commun dans ces trois éléments essentiels :

• le respect de la personne,

• le bien-être social et le développement du groupe,

• la paix c’est à dire la durée et la sécurité d’un ordre juste.

Chers pèlerins, demandons à l’Esprit-Saint de nous éclairer afin que chacun d’entre nous puisse prendre les initiatives qui correspondent à ses talents et à ses responsabilités dans la Société pour servir le bien commun, hic et nunc.