Récit d'un chapitre d'anges gardiens dans le massif du Pilat

Notre marche nous a conduits sur les crêts du Pilat, depuis le refuge de la Jasserie, auberge née d’un ermitage des Chartreux de Sainte Croix-en-Jarez, jusqu’à la Chapelle Saint Sabin, édifiée à la fin du XVIIe siècle à l’emplacement d’une forteresse gauloise et devenue depuis un lieu de pèlerinage traditionnel le lundi de Pentecôte.

 

Le Veni Creator chanté ou balbutié au pied du clocher de la Jasserie, nous partons en milieu de matinée, quasi vingt, sous une pluie qui s’installe et gagne en épaisseur à l’orée du bois de hêtres où nous entrons. Les feuilles de chants et de méditations boivent l’eau allègrement mais Louis et Zélie Martin, dont l’hagiographie se mêle aux mystères lumineux, résistent sur le papier comme dans les coeurs. Nos godillots prennent l’eau mais la joie des petits qui sautent de flaques en flaques, et l’Esprit Saint qui souffle discrètement sur les braises intérieures, ravivent notre ardeur. Nos Ave Maria traversent les chirats, les bois de charmilles, les landes de genêts, et ajoutent leur part d’éternité à la fragile poésie des sommets.

 

Le pique nique de midi n’offre pas davantage de répit. La pluie battante nous force à trouver refuge sous les sapins : grelottant sous les ponchos, nous échangeons, avec l’âme virile des derniers résistants d’une Chrétienté toujours à renouveler, chips, sandwichs, fraises tagadas, frênette…Une famille nous rejoint sous l’abri de fortune. Des mamans vaillantes donnent la becquée, avec une étonnante dextérité, aux nourrissons blottis contre elles.

 

Nous entamons la descente sur le versant rhodanien. La croix passe de main et de main et notre jeu d’équilibriste s’affine pour s’assurer des rochers glissants de l’ancienne voie romaine. Nos prières sont entendues, la pluie s’arrête. Comme chaque année désormais, la fontaine Chaumienne nous fournit le prétexte d’une halte prolongée. Adossés au hameau,  cernés de lupins qui pointent leur hampe colorée vers le ciel, nous nous chauffons la gorge et le coeur de chants des quatre coins du monde, à Henri IV et d’Amérique, cosaques et alsaciens. Deux nouvelles familles viennent élargir le groupe et la marche reprend au rythme vigoureux de « Chartres sonne ».

 

15h : l’heure de la miséricorde ouvre l’ultime étape de notre pèlerinage. Depuis le col du Gratteau, nous nous laissons glisser paisiblement à travers les sapins, dressés comme une armée ou abattus par les dernières coupes claires, dans l’écharpe de brume qui s’accroche à la dernière pente.

 

Nous franchissons enfin le tertre gaulois au sommet duquel est installée la chapelle Saint Sabin, modeste édifice dont les crépis successifs dissimulent l’ancienneté. Rejoints par d’autres paroissiens et quelques badauds, nous sommes désormais près de quarante à suivre la messe qui commence. La séquence du Veni Sancte Spiritus lance une mystérieuse et touchante passerelle entre le ciel et la terre comme entre les époques. Le Ciel ne dédaigne pas de venir habiter notre théâtre bien sonore dont le plancher résonne sous les trépidations des plus jeunes comme sous les aboiements du chien venu nous rejoindre à toute force. Et l’on se prend à penser aux paysans de 1683, fourbus et non moins vivants, venus réclamer au « Consolateur souverain…les sept dons qui font les saints ».