Vie en société, politique : le texte des évêques de France se situe à un niveau purement sociologique et relativiste et renonce à rappeler la vérité de la doctrine sociale de l'Eglise

On lira avec grand intérêt l'analyse détaillée que fait Joël Hautebert pour "l'Homme Nouveau" (31 octobre 2016)

20161015CEFPolitiquecouverture.jpgn.b : Nous avons déjà publié ici les premières analyses du texte des évêques.

l'analyse de Joël Hautebert pour "L'Homme Nouveau"


Le Conseil permanent de la conférence des évêques de France vient de publier un ouvrage intitulé Dans un monde qui change retrouver le sens du politique (Bayard, Mame, Cerf, 96 p., 4 €). C’est donc bien de politique qu’il s’agit, avec un épilogue proposant des éléments de réflexion en vue des prochaines élections. Une bonne heure suffit à la lecture attentive de ce livre d’une centaine de pages en petit format, composé d’une dizaine de chapitres très courts et agrémenté d’un quizz très à la mode.
Le lecteur est d’abord frappé par la tonalité de l’exercice. Il se situe dans le registre sociologique du simple constat d’un certain nombre de maux qui affligent notre pays ou encore des formes de réaction des citoyens ; du désintérêt pour la politique aux modalités contemporaines d’expression « citoyenne ». Les courts chapitres comprennent souvent une grande quantité de questions, posées les unes après les autres, autant d’interrogations pour lesquelles on attend des réponses, a minima des pistes pour la réflexion. Par exemple, lorsque les évêques posent l’excellente question « Pour quoi suis-je prêt à donner ma vie aujourd’hui ? » (p. 52), on aimerait lire quelque chose de plus consistant et politique (et de moins relativiste) que : « la réponse est sans doute très personnelle et intime ». Ce registre sociologique est quelque peu gênant lorsqu’il est question des diverses initiatives citoyennes, le phénomène « Nuit debout » étant placé sur le même plan que les « Veilleurs », sans aucune appréciation de fond.

Aucune analyse

Les causes des fragilités, des difficultés ou impasses de notre société ne font jamais l’objet d’une analyse en profondeur. Or, sans diagnostic, comment proposer un remède ? Pourtant, il est écrit que « plus que d’armure, c’est de charpente que nos contemporains ont besoin pour vivre dans le monde d’aujourd’hui » (p. 42). Voilà qui est bien dit. Mais alors pourquoi n’y a-t-il aucune allusion à la loi morale naturelle, dont la violation par les lois constitue l’une des causes majeures de nos maux contemporains ? Pourquoi n’y a-t-il aucune mention de l’ordre naturel sur lequel doit nécessairement s’appuyer l’ordre politique ? La Nation et la Patrie ne font l’objet d’aucune définition. Il est simplement dit que « les notions traditionnelles et fondamentales de Nation, Patrie, République sont bousculées et ne représentent plus la même chose pour tous » (p.15). Pourquoi ne pas rappeler leur sens exact ? Nous ne trouvons également aucune définition substantielle du politique, en dehors du sacro-saint débat. Pour les auteurs, le politique suppose « la recherche du bien commun et de l’intérêt général qui doit trouver son fondement dans un véritable débat sur des valeurs et des orientations partagées » (p. 21). Rien non plus sur les conditions du bien commun que sont la justice, l’unité, l’amitié politique… Aucune information n’est donnée sur ce qu’est une communauté politique, en quoi elle s’inscrit dans notre nature d’animal politique, prend corps au cours de l’Histoire dans une culture, des traditions, une langue, un patrimoine hérité, pour nous Français immense, riche de siècles d’efforts, de dons et de sacrifices. Cela n’apparaît qu’incidemment sous forme de questions. Dès lors, les justes remarques ou constats disséminés ici ou là, sur le respect de la vie et la famille par exemple, perdent l’essentiel de leur force, parce que leur fondement naturel a disparu.
À ce stade, en faisant preuve d’un immense souci de compréhension eu égard à la qualité épiscopale des auteurs supposés, on pourrait en conclure que le choix d’un registre purement sociologique ne facilite pas l’exposé de ces notions fondamentales. Il s’agirait simplement d’éveiller l’attention sur le politique… Mais dans ce cas, pourquoi évoquer la nécessité d’une charpente sans en donner les grandes lignes ? Mais hélas, à y regarder de plus près, ce texte propose bien une charpente et ses grandes lignes… qui ne sont pas celles auxquelles nous aurions dû nous attendre. En effet, à défaut de rappeler que le politique découle de notre nature, l’ouvrage prend parti pour son antithèse radicale, le contrat social et son succédané la démocratie moderne et idéologique, bien supérieur qu’il nous faudrait défendre.

Quel contrat?

Les auteurs nous expliquent que « le contrat social, le contrat républicain permettant de vivre ensemble sur le sol du territoire national ne semble donc plus aller de soi. Pourquoi ? Parce que les promesses du contrat ne sont plus tenues. Il a besoin d’être renoué, retissé, réaffirmé. Il a besoin d’être redéfini » (p. 30). Cette citation précède le chapitre 4 intitulé « Un contrat social à repenser »). La volonté humaine prend la place de la nature comme source du politique. Il est fait allusion à ceux « qui ne se sentent plus partie au contrat » (p.34). Avis aux lecteurs : avez-vous entendu des Français victimes d’injustices dire qu’ils ne se sentaient plus partie du contrat ? Exit la France charnelle et son histoire. On apprend que la conception de l’identité nationale en France « supposait de façonner un citoyen dans le creuset républicain où il s’appropriait l’idée d’un pays » et que ce creuset aurait « plutôt bien fonctionné pendant des siècles » (p. 37-38). Place maintenant à la redéfinition du contrat social et du pacte républicain en intégrant la diversité. Et en dehors de la République, il n’y a rien eu dans notre Histoire nationale ? Le baptême de Clovis, l’enthousiasme suscité par sainte Jeanne d’Arc pour la défense du royaume ne comptent semble-t-il pour rien dans notre identité. Le fait d’avoir traité au même niveau la Nation, la Patrie et la République, sans définir les termes, sous-entendait déjà la parfaite logique conceptuelle de l’ensemble.

L'éloge du compromis

Le reste coule de source. L’ouvrage fait l’éloge du compromis : « C’est, à partir de positions différentes, entrer dans un vrai dialogue où on ne cherche pas à prendre le dessus mais à construire ensemble quelque chose d’autre, où personne ne se renie, mais qui conduit forcément à quelque chose de différent des positions de départ. Ce ne doit pas être une confrontation de vérités, mais une recherche, ensemble, en vérité » (p. 58). Logique. S’il n’y a pas de vérités politiques tirées de la nature de l’homme et de la Cité, le dialogue devient la source du « vrai ». Circonstance aggravante, ces propos suivent immédiatement un développement constatant, sans aucun jugement de valeur, qu’« il n’y a plus de vision anthropologique commune » avec une référence explicite au « mariage pour tous » et aux questions éthiques relatives au début et à la fin de vie. Sur ces sujets, nous sommes donc conviés au compromis. Les chrétiens ont des choses plus importantes à défendre … le débat ! (« Nous voudrions vous inviter à prendre la parole, à échanger avec d’autres » (p. 70)), dans une démocratie indépassable : « Les chrétiens, avec les autres, doivent veiller à la démocratie dans une société fragile et dure » (p. 59) – « si nous voulons progresser dans les pratiques démocratiques, nous devons promouvoir l’exercice du droit de vote » (p. 80)…
Dans ces conditions, il n’y a plus de charité politique (expression absente), destinée au bien spirituel des âmes (jamais évoqué) assuré par de bonnes lois (jamais citées). L’objectif est autre : « Certains ont du mal à considérer que le religieux ait quelque chose de positif à apporter à la vie en société » (p. 61). Quel serait donc cet apport ? Aider psychologiquement les caractères faibles, faire du social ? Une phrase a particulièrement retenu notre attention. À propos de la perte de repères résultant des évolutions économiques et sociales, il est question de « la disparition dans les villages des services de proximité, épicerie, bureau de poste, médecin, curé… » (p. 32) !!! L’Église assure un service de proximité identique à celui de l’épicier et des services postaux au cœur du pacte républicain. Voilà l’objectif.
Le registre essentiellement sociologique n’a donc rien d’innocent. C’est celui de la modernité idéologique et du relativisme. Privés de leur fondement, les combats majeurs pour l’identité des personnes et pour la sauvegarde des communautés naturelles deviennent clairement seconds par rapport à la redéfinition du contrat social républicain et à la revitalisation de ses modalités d’exercice démocratique.
C’est une reddition sans condition. Ce livre est définitivement refermé.